Qui est Melchior Tersen ? Photographe, artiste, fan de hardcore qui vit toujours chez ses parents, ses photos à mille lieux des clichés Instagram "je-prend-mon-goûter-sur-l'herbe-par-un-temps-ensoleillé" sont du genre qui attire immanquablement le regard. A la fois pile-poil dans le créneau inévitable du porno-chic façon Wolfgang Tillmans / Vice et totalement franchouillard dans les sujets, Melchior shoote du côté de l'Erotix Mons, des nuits Demonia, des fans de Johnny Hallyday, du Hellfest, du "Mulhouse Tuning", ou même dans un défilé avec Morsay et ses Truands de la Galère. Cynisme et voyeurisme typique de l'époque ou "anthropologie contemporaine"? On s'est dit que le mieux pour trancher, c'était encore de le rencontrer.
D’abord, qui est Melchior Tersen ? Raconte nous un peu ton parcours.
Je m’appelle Melchior Tersen, je vais avoir 26 ans ce mois ci. Je suis née à Paris, mais j’ai toujours habité en banlieue, dans le 92. Je ne me rappelle pas d’un moment où je me suis dit que je voulais être photographe. Quand j’étais mioche, je ne faisais pas de photos, les jetables revenaient cassés de colo ou avec des photos ratés de gamins qui shootaient leurs bites.
J’ai acheté mon premier appareil photo quand je devais avoir 16 ans. Un amis en avait acheté un et j’ai fait la même chose. On se prenait en photos en classe, en train de faire les cons, c’est ma première vraie expérience avec un appareil. C’était un petit compact numérique que je prenais avec moi dans les concerts. A cette époque j’écoutais du métal puis du hardcore et avec mon pote on faisait des photos avec les musiciens à la sortie. J’allais aussi à des avant-premières de cinéma, photographier les stars avec les paparazzi. J’étais le seul avec un petit appareil photos.
Commencer à être pris au sérieux ça n'a pas été pas évident. Je me suis fait jeter de plein d’endroits : entre les photographes de concert qui te dénoncent a la sécu de la salle et les webzines qui t’ignorent ou te lynchent publiquement comme ça m’est arrivé, c’est pas évident de garder la foi. Les premiers à m'avoir donné ma chance, c’est l’agence de booking Kongfuzi, elle m’avait accrédité sur un concert du groupe de post-rock Mono, et je continue de bosser avec eux parfois comme à Villette Sonique, ça me plait de bosser avec des gens passionnés qui font un vrai boulot de qualité.
Je suis resté « amateur » jusqu’à ce que je découvre l’argentique, il y a environ 4/ 5 ans, et les photos de Rian Mc Ginley, Tim Barber et Terry Richardson via le magazine Vice. A partir de ce moment la, j’ai peu à peu trouvé une sorte de logique qui s’est mise en place toute seule.
J'imagine qu'avec l'avènement du numérique, la photographie en 2013 doit être un milieu très concurrentiel...
C’est effectivement compliqué, la presse française est très frileuse à propos de la photo en générale. Les magazines préfèrent engager un nom prestigieux comme gage de qualité. Quand t’es français, hétéro, sans diplôme de grande école, c’est pas évident de s’insérer dans le milieu culturel parisien.
J’ai beau m’intéresser à beaucoup de sujets et bosser rapidement, j’ai très peu de commandes qui émanent de la presse, la plupart de mes travaux sont des initiatives personnelles qui, parfois, donnent lieu à des publication. Un jour, j’au eu droit à un chouette portfolio dans Noise et j’en étais fier, plus jeune je leur avais envoyé une demande de stage, mais ça n’avait pas marché. C’est un bon retour des choses, c'est un magazine que j’apprécie vraiment.
J’essaye de faire un peu de mode car j’aime les fringues et d'un point de vue photographique, c’est un monde complètement différent. Avec la styliste Morgane Nicolas, on a fait deux séries pour Wad Magazine, quand c’est pas prise de tête c’est vraiment plaisant à faire. Dernièrement j’ai aussi fait une série mode pour Vice avec ma pote Safia. C’était sur le rap français avec un jeune groupe du 13ème, la MZ. C’était cool vue que l’anthropologie contemporaine est au centre de me sujets. En fait la mode ça fait du bien car c’est léger. Ça me change des photos que je fais habituellement et qui sont parfois pas évidentes a faire : humainement faut s’accrocher.
Comment vis-tu de cette profession ?
Pendant longtemps j’ai bossé là où je pouvais (hôpital, Macdonald, intérim), je faisais des jobs qui me laissaient le temps de d’aller sur le terrain, des jobs qui me permettaient de m’adapter. Mais pour répondre à ta question, les photos ça paie que dalle, quand je gagne du blé, c’est avec la mode. Pour les reportages, rien qu’en pellicule, je dépense plus que le prix des piges. Dernièrement j’ai bossé pour Nike, sur les Air Max, et ça m’a bien aidé, j’ai pu rembourser pas mal de mes dépenses.
Comment choisis-tu tes sujets?
Je photographie différents milieux, différentes "communautés". Le facteur commun entre mes sujets, c’est qu'ils sont proches de moi. Je fais avec les moyens dont je dispose et je m'adapte: je ne parle que français, je n’ai pas le permis, j’ai toujours vécu au même endroit et j’ai peu de moyens. Ça limite pas mal le champ d’action. Je me dirige donc plus facilement vers des sujets qui me sont proches, à mon échelle ils sont plus accessibles.
Je photographie des sujets qui me touchent. Je ne suis pas forcement impliqué en tant qu’acteur, mais j’en connais les codes. Ce qui rassemble tout ces sujets ça serait la passion. J’aime les gens passionnées qui vivent à fond ce qu’ils aiment et qui ne font pas semblant.
L’aspect visuel est important, bien sur, mais pour ma part, c’est le fond qui prime dans ma démarche. Des photos d’un concours de bodybuilding seront plus impressionnantes qu’un concours de carte Yu Gi-Ho, mais derrière il y a une passion tout aussi importante. Dommage que, commercialement, l’emballage prime sur le contenu du paquet.
Il y a des sujets plus faciles que d’autres à traiter ?
Bien sûr ! Tout ce qui est de l’ordre de l’intime déjà. Les sujets ayant un lien avec le sexe sont difficile à traiter, il y a beaucoup de pudeur à respecter. Des endroits comme Eropolis ou les événements Demonia sont difficiles à traiter. Il y a des codes à respecter, les photos sont parfois mal venues pour tout un tas de raisons. Je dois les faires sans troubler les gens, sans profiter des autres… Je ne photographie jamais une personne en douce, c’est une question de respect. Une fois, je me suis fait embrouiller par un connard du sud qui se faisait écraser les couilles et qui a cru que je le shootais en douce, mais ça m’arrive extrêmement rarement.
Ce qui a trait au social peut être difficile, là ou il y a de la misère. Mais je pense qu’on peut tout photographier, il suffit de trouver le bon angle, le bon moment et de faire ça correctement avec une bonne préparation. Si tu es dans le bon contexte, ça se fera, alors que 5 minutes plus tard et 100 mètres plus loin, ça sera impossible et malvenu. Le bon moment au bon endroit, voilà ce qui compte.
Il y a parfois un décalage entre tes sujets et le public auxquels ils sont adressés, les fans de Johnny par exemple qui, une fois publiés, sont en quelque sorte jetés en pâture à un public qui les regardent avec mépris. Où est ce que tu te situe par rapport à ça ? N'est-ce pas un peu pervers, un peu cynique d’aller photographier ces personnes pour des gens qui, presque systématiquement, iront se moquer d’eux ?
Je comprends parfaitement ta question, tu as bien cerné le problème auquel je suis confronté. Il n’y a pas de traitement de faveur, tout mes sujets ont la même importance. Il n’y a pas de cynisme, pas de complaisance. Je ressemble à ces gens, j’ai un patch de Mayhem sur mon sac et je porte des TN. Pour les fans de Johnny, il n’y a pas non plus de foutage de gueule, j’ai moi-même un tatouage « Que je t’aime » sur la poitrine, je ne connais pas tout son répertoire, mais j’adore certaines de ces chansons et j’étais hyper ému d’aller le voir en concert au stade de France. J’ai appris à bosser avec les bonnes personnes, je ne confierais plus de photos à un magazine qui va déformer mon propos et ainsi manquer de respect aux gens qui m’ont accordés leur confiance.
Irrémédiablement, mes photos vont toucher un certain public et dans ce public, il y a toujours des gens qui se sentent plus malins que les autres qui se moquent et qui jugent. Ça m’embête mais c’est comme ça. Ce qui compte c’est que les gens que je photographie aient confiance en moi et soient content que je leur envoie leur photo. Mais vois-tu, les gens qui font du cosplay vont dire que le rap c’est un truc de racaille et que c’est des connards, les lascars vont dire que le cosplay , c’est un truc de boloss et de sheitan. On peut pas contenter tout le monde en s’intéressant à des univers aux codes opposées.
Et qu’en retires tu ? Qu’attends-tu de tes photos ? Qu’attends-tu de toi-même en tant que photographe ?
Ma vie personnelle est très plate, je suis quelqu’un d’assez raisonnable, de pas très rock’n roll. A un moment de ma vie, après le lycée que j’avais foiré en beauté, je bossais la nuit à Auchan et le jour au centre de loisir, la photo m’a aidé a sortir de ce train de vie morose, elle m'a poussé à me bouger, à entreprendre de nouvelles choses et pour une fois, je m'épanouissais dans un domaine. Je me suis créé une culture de terrain en allant a la rencontre des gens, en me bougeant le cul. Je ne pense pas que j’en serait arrivé là avec un parcours scolaire classique, je suis plutôt autodidacte.
Je fais les choses a fond. C’est comme pour mes tatouages, je ne veux pas seulement me faire tatouer l’avant bras, tant que je n’aurais pas tout le haut du corps tatoué, je m’arrêterai pas. C’est une passion, je la vis jusqu’au bout. Les photos c’est pareil, je ne sais pas où ça me mènera, j’espère en vivre un jour, niveau jobs ingrats, j’ai assez donné. Pouvoir un jour prendre le train plutôt que squatter les bus Eurolines, ça serait déjà cool.
Je pense que mon travail va continuer à évoluer formellement, sans pour autant abandonner mon approche. J’aimerais bosser plus profondément certains de mes sujets. Et pourquoi pas, publier un livre quand tout ça sera au point.
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