On n'en aura jamais fini avec la house lo-fi (et oui, nous aussi on contribue à nourrir la bête, on sait). Cette fois-ci, c'est le site The Outline qui vient y mettre son grain de sel, en émettant très franchement l'hypothèse que le succès récent du genre ne serait en fait dû qu'à une affaire d'algorithmes Youtube. On s'en doutait à vrai dire fortement, dans la mesure où personne n'est dupe aujourd'hui sur le pourquoi du comment de nos goûts et couleurs et la précision de nos suggestions sur Internet aujourd'hui (comme par hasard, on est toujours redirigé vers le contenu que l'on apprécie). Mais Youtube semble être la chaine qui maitrise le mieux ces algorithmes : depuis qu'elle est pilotée par Google, la chaine est devenue de plus en plus précise dans le pistage de nos goûts et préférences. Ainsi, lorsque le fameux DJ Boring est apparu dans nos barres de recommendations sur la droite, c'est parce qu'on était déjà en train d'écouter cette musique.
DJ Sabrina The Teenage DJ - All The Beautiful Things U Do
08:17
La raison pour laquelle cela marche aussi bien avec la chose house lo-fi est son immédiateté et ses signaux particulièrement clignotants (la vaporwave, plus tordue mais tout aussi répérable, la talonne d'ailleurs de près sur Youtube). On l'a déjà dit ici,
le genre est devenu aujourd'hui tellement identifié qu'il en est désormais déclinable à l'infini. Certains, tels le fameux DJ Boring suscité, mais aussi Ross From Friends et autres Mall Grab, ont bien évidemment compris la mécanique et se sont engouffré comme un seul homme dans la brèche. Aussi, il n'en faut pas beaucoup pour se créer un tube lo-fi prêt à porter : une nappe de synthé triste, des samples d'Aaliyah (ou équivalent) reliés à une rythmique 4/4 fondamentale, des références plus ou moins générationnelles que ne manqueront pas de se passer les puceaux nostalgiques (de préférence en droite direction des 90's donc, de Sabrina l'apprentie sorcière à Winona Ryder en passant par les survêts Adidas et les images au grain VHS). Il y aura alors un effet boule de neige, les clins d'yeux au genre fonctionnant comme autant de ricochets qui permettront au nombre d'écoutes d'exploser : ainsi, plus le genre sera identifié, codifié et donc conventionnel (dans le sens où il obéit à des conventions strictes), plus le morceau en question aura de chances de se faire harponner et recraché par l'intelligence Youtube - et sa popularité d'exploser. La house lo-fi, son obsession nostalgique, son flou temporel, ses vapeurs infectieuses et son attrait régressif sont donc les clients idéaux de ce matraquage algorithmique,
en plus d'être parfaitement raccords avec l'époque.
Dans tous les cas, même si tout ce parait assez évident, cela met en lumière quelque chose d'un poil plus inquiétant : si Youtube devient la condition exclusive d'existence d'un courant, et non plus seulement une plateforme d'exposition, le processus créatif de la musique qui en découle en devient alors totalement vampirisé ; on en est donc rendu avec des produits encore plus manufacturés qu'on ne le soupçonnait alors. Certes, cela ne nous empêchera pas de mettre un petit Ross From Friends sur la platine (on n'a jamais dit qu'on n'était pas tombé dans le panneau comme tout le monde, hein), mais on sera au moins au courant de la combine.
L'article de The Outline sur le sujet est consultable
ici.
Ross From Friends - Talk To Me You'll Understand
06:57