Quand je pense aux mécanismes qui président à mon appréciation musicale, je suis obligé de reconnaître et d'avouer - au moins pour moi-même - l'existence d'angles morts, de zones d'ombre, échappant à tout contrôle et gâchant vaguement la vision d'ensemble. 


Sur le papier, MGMT a tout pour être un groupe que j'aime, de ses références aux pans les plus mal famés de la pop psyché 80's (de The Television Personalities à Spacemen 3) à cette manière forcément excitante d'avoir désactivé une à une les attentes placées en eux après leurs premiers succès, jusqu'au fait qu'ils aient toujours privilégié une approche de songwriters derrière leurs allures de décorateurs d'appartement - ce n'est quand même pas un hasard si la mélodie de Kids reste intacte dans ma mémoire sans avoir réécouté la chanson depuis des années. Et pourtant leurs disques ne suscitent chez moi aucune palpitation, aucune envie d'y coller ou d'y revenir ; leur réapparition cinq ans après un album que je ne me souviens même pas avoir écouté n'a d'effet que par le biais de l'excitation des autres, encore nombreux semble-t-il malgré la dégringolade commerciale du duo (toujours bizarrement signé chez une major). 


Pour me justifier, j'aurais toujours la détestation (molle, mais tranquille) de leurs clips second degré, de leurs fripes néo-hippie et de leurs petites gueules de Brooklynites persuadés de tenir le monde au fond de leurs tote bags, et même si tout cela n'est plus d'actualité (eux aussi ont vieilli et semblent à l'aise loin de leur hype passée), ça donne un semblant de contenance à mon incapacité à prendre part avec appétit aux débats. En découvrant le single "Little Dark Age" avant l'album du même nom, j'ai quand même eu, je l'avoue, un petit frisson : c'est juste une super chanson, entêtante, personnelle, pas trop crâneuse, mélancolique et glorieuse comme il faut. Frisson jamais reconduit par le reste de l'album, où la prod hyper compressée (le mal de la pop actuelle à son point d'incandescence) prend systématiquement le pas sur l'écriture, où le gimmick 80's (George Michael, Chrome, funk guindé), propulsé dans le monde d'aujourd'hui (merci Patrick Wimberly), ne dépasse jamais sa fonction décorative, où la profusion d'enluminures cherche sans cesse à détourner notre attention du vide (d'inspiration, de direction). Merci les gars, je vais désormais pouvoir me foutre royalement de votre existence sans me poser la moindre question de continuité critique.


Michael Patin

Disclaimer : cette chronique risque de manquer d’impartialité. J’avais 17 ans quand Oracular Spectacular est sorti et j’ai détesté avec ferveur “Kids” et “Time To Pretend”, les deux titres qui ont fait passer le duo new-yorkais en rotation lourde sur toutes les antennes radio du monde et dans toutes mes soirées de fin de lycée. 


Je n’aimais pas le son lofi-mais-pas-trop de Ben Goldwasser, le ton roublard-geignard d’Andrew VanWyngarden me faisait crisser les dents et j’étais assez dérangé (sans vraiment réussir à mettre le doigt dessus à ce moment-là) par l’ironie blasée et auto-satisfaite qui suintait de l’ensemble, en passe de devenir la norme de la pop intelligente.


Je me suis assez logiquement totalement désintéressé des deux albums à teneur plus expérimentale qui ont suivi (assister au "suicide commercial" d’un groupe que vous détestez c’est un peu comme passer un après-midi à scroller les Instagram moches des gens que vous n’aimiez pas au lycée, vaguement satisfaisant et assez fastidieux), avant de jeter une oreille sceptique à Little Dark Age, sorti au début de ce mois.


Annoncé comme le retour du duo à la pop, l'album s’ouvre avec le rigolo “She Works Out Too Much” (MGMT s’essaie au funk blanc, et - surprise - ça marche très bien) et se referme avec le moins amusant “Hand it Over” (MGMT s’essaie à la chronique politique éthérée, moins convaincant). Entre ces deux extrêmes, qui délimitent bien le propos du disque, Goldwasser et VanWyngarden signent 8 morceaux qui font la synthèse entre le dernier John Maus (en moins bien) et le premier Metronomy (en mieux), soit un parti pris synthpop 80’s plombé et un peu psyché, assez pessimiste (quelques allusions distantes à Trump et à l'état de l'Amérique), gentiment technophobe (“TSLAMP”, sixième piste du disque, acronyme de “Time Spent Looking At My Phone”), souvent Arielpinkesque, la fantaisie en moins (“When You Die”, co-écrit avec le lutin en personne) et vaguement politique, bien que le duo se défende de vouloir faire passer un quelconque message (“Little Dark Age”, “Hand it Over”).


A l’arrivée, Little Dark Age sonne comme la bande-son d’un road trip en voiture électrique intérieur cuir, au cours duquel des cadres supérieurs de la Silicon Valley gentiment allumés au peyotl s’échangeraient leurs théories sur la dernière saison de Black Mirror. Un disque jamais vraiment surprenant, pas tout à fait désagréable non plus, mais bien loin d'être assez réussi pour me faire pardonner les soirées passées à écouter mes potes de terminale hurler "take only what you neeeeed from it".


Arthur Cemeli