C'est un des plus grands paradoxes de la pop culture d'aujourd'hui. On l'a dit, écrit, analysé, chroniqué : l'ombre de Guwop porte sur la quasi totalité du rap depuis près d'une décennie. Héraut de la trap, ambassadeur d'Atlanta, street cred en acier trempé et paternité putative de la moitié de la nouvelle scène rap qui compte, le bilan et le pedigree de Gucci Mane sont inattaquables. Reste une ombre au tableau : contrairement à une bonne partie de ses imitateurs, il n'a jamais (totalement) passé le cap du mainstream.
Il y a une forme de logique à ce qu'au moment où l'on commence à parler de mort de la trap (comme sont morts avant elle 95% des genres musicaux connus à ce jour, mais passons) l'un de ses originateurs frappe à la porte du divertissement très grand public. Après Everybody Lookin son album de transition publié dès sa sortie de prison, Wobtoper se voudrait l'album de la confirmation, son billet d'entrée dans le cercle très fermé des entrepreneurs multi-millionnaires du rap qui ont réussi leur pasage dans l'industrie du divertissement au sens large, type Wayne, Diddy, ou Jay Z.
Gucci Mane - Last Time (feat. Travis Scott) [Official Audio]
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Côté Gucci, tous les indicateurs sont au vert. Il a mis à profit son séjour en prison pour perdre la moitié de son poids, se débarrasser de son addiciton à la codéine, faire l'acquisition d'une garde robe plus "je chante du R'N'B sur MTV" que "je vends de la méthamphétamine à tes enfants" et semble décidé à lâcher un peu plus que des regards menaçants et des réponses mono-syllabiques en interview. Ses zélotes ont de leur côté patiemment pavé la voie de la musique de strip club vers les masses. La trap s'est immiscée dans la publicité, les bandes-annonces et toute la pop s'écoute désormais à des BPM poussifs saturés d'infrabasse. En résumé, rien ne devrait normalement s'opposer ce que Gucci Mane quitte définitivement la sphère indie-cool de Noisey, Pitchfork et Harmony Korine pour rejoindre celle plus globale des Grammies, VMA's et autres grosses productions holllywoodiennes.
Et pourtant. Si on devait parier sur la destinée du rappeur dans les prochaines années, on cocherait plus la case gros notable de province que souverain multi platinés. En premier lieu parce que dans l'esprit du grand public, la case trap est déjà incarnée par Future, Young Thug voire Drake - qui comme toutes les grandes marques sait très bien varier et adapter son contenu en fonction de son auditoire et qui s'apprête sans doute en ce moment-même à carjacker la prochaine grande nouveauté qui surgira dans le paysage rap. Ensuite parce qu'une partie du talent de Gucci Mane vient précisément de ce qui le rend invendable, sa folie. Pas la détresse d'un Lil Wayne, plus propre à déclencher la compassion que la peur, ni la mégalomanie abusée-surjouée d'un Diddy, mais la folie qui le pousse aux aller-retours en prison, à la direction artistique au radar et au cône de glace tatoué sous l'oeil gauche. Les liens de parenté du rappeur sont définitivement plus à chercher du côté des cramés magnifiques Old Dirty Bastard et George Clinton que des entrepreneurs pragmatiques James Brown et Jay Z, pour le meilleur et pour le pire.
Wobtoper sortira le 17 octobre chez Atlantic Records