Pour sa deuxième édition, qui s'est déroulé du 18 au 20 mai dernier, le festival bordelais Hors Bord a opté pour une sélection d’artistes à la fois défricheuse et accessible (avec des têtes d’affiche comme Death In Vegas ou Objekt, on a déjà vu plus putassier). Co-organisé par l’équipe de l’I.BOAT, le raout printanier se veut représentatif de la programmation variée et pointue du club le plus réputé de la ville : de la musique de danse électronique sous absolument toutes ses formes, mais pas que.

 - (c) Nicolas Duffaure
(c) Nicolas Duffaure

Durant trois jours et trois nuits, on aura ainsi vu défiler sur les deux scènes extérieures et à l’IBOAT autant de platines que de laptops, et de machines que de guitares - le programme des réjouissances comprenant aussi bien la house analo d’Omar-S et l’euro-disco de derrière les fagots de Black Devil Disco Club que le psychédélisme gorgé de techno de SUUNS et les embardées free-jazz-mystico-dance de Dr(dr)one. Et tout cela dans un cadre restreint, convivial et détendu (avec du faux gazon, des transats et des ateliers de confection de couronnes de fleurs), qui nous fait nous dire que l'événement représente un prélude idéal à la reprise des hostilités festivalières de l’été. Bref, on se croirait (presque) déjà en vacances.

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Dans les dents, le jeunisme 


Les deux premiers jours, deux concerts auront prouvé que les vétérans de la musique de danse n’ont rien à envier aux petits jeunes en thème de vigueur scénique (dans les dents, le jeunisme). Jeudi, on commence sur les chapeaux de roue avec Death in Vegas. L’an dernier, Richard Fearless avait relancé son projet phare du courant indie dance des années 00, en lui faisant opérer un retour vers les origines souterraines et cracra de la musique électronique (l’industrielle, la bande de UR). C’est ici amputé de sa vocaliste Sasha Grey qu’il présente Transmission, disque en forme de vision dystopique de Londres enregistré d’une traite dans son studio sur les bords de la Tamise. Au début, le public fait un peu la moue pendant le lent morceau de montée dronesque peuplé de bruits de métal froissé, avant de se laisser entraîner quand Fearless arrive dans des territoires big beat et techno plus adaptées à la configuration du lieu. L'atmosphère est à la danse et à la transe.

Le lendemain surtout commence en beauté avec ce qui restera sans conteste comme l’un des meilleurs moments du week-end, quand on arrive voir Bernard Fèvre alias Black Devil Disco Club, programmé sur la petite scène. Il est encore tôt et une légère pluie tombe, mais malgré ses conditions peu favorables, la fosse, d’abord clairsemée (c’est un euphémisme), se remplit petit à petit de danseurs emportés par ses compositions sautillantes. C’est fin, très bien écrit et rempli d’astuces sonores qui donnent furieusement envie d’agiter les bras et popotin. Ce qui fait aussi sourire, c’est l’attitude scénique du fringant sexagénaire, passé par les planches des cabarets parisiens lors de sa prime jeunesse. Attifé de lunettes de soleil malgré le temps maussade, il esquisse quelques pas de danse derrière son Casio et n’hésite pas à haranguer le public - “ça, c’est pour tous ceux qui ont joués à GTA”, lâche t-il notamment avant de lancer son morceau "The Devil in Us", qui figure dans la bande-originale du quatrième opus de la série de jeux vidéos - on n'est pas si loin de “levez les bras en l’air”.

  - (c) Nicolas Duffaure
  (c) Nicolas Duffaure

Petits blips et gros kicks


Dans le club, la jeune garde n’était pas en reste. Mad Rey & Mézigue, le duo phare du renouveau de la house parisienne, a foutu le bordel dans la cale de l’IBOAT le jeudi à grands coups de funk synthétique et d’acid deepy à plus de 140 bpm. Tandis que vendredi, c’était au tour de propositions hardies d’être mises à l’honneur : on a pris une double ration de petits blips et de gros kicks avec les sets de Beatrice Dillon et d’Objekt. Respectivement meilleure élève de la chose dub techno et premier de la classe du bon goût techno et electronica, les deux sélections étaient impeccables mais un peu sagement déroulée. Qu’importe : on a dansé doucement en écoutant avec attention.


Plus tôt dans la journée, on avait eu droit à une sorte d’expérience méta de rave party avec Lorenzo Senni - qui se qualifie lui-même de “rave voyeur”. Fasciné par la musique de transe des années 90, l’Italien basé à Berlin a conçu un show aux airs volontaires de teuf batave (avec des lumières laser et le maître de cérémonie écartant les deux bras vers le ciel), écrin parfait pour ses morceaux fabriqués à partir de samples de trance atomisés. Pourtant, l’approche conceptuelle de la matière rave n’a pas entraîné ce jour-là chez nous de recul critique qui viendrait jouer les troubles fêtes. Loin de là. On a au contraire constaté que Senni donne à sa musique déconstruite une orientation plus pupute dans un contexte club (en étirant les moments qui faisait remuer la fosse), et c’était réellement réjouissant.

Ambiance décroissance


Samedi, le temps est sec, découvert et il fait enfin un soleil radieux. La programmation du jour de clôture est aussi la plus “ensoleillée” - dixit un type avec qui on taille une bavette au bar. C’est surtout la plus aguicheuse, et les espaces semblent encore un peu plus remplis que les deux jours qui ont suivi : Floating Points et Omar-S sont de la partie. Personnellement, on n’a jamais été très emballés par le côté un peu “danse à papa” du premier, mais on attend le dernier en trépignant. On a toujours considéré l'Américain comme l’un des meilleurs producteurs de house contemporain, et ce soir on n’est pas déçu. C’est parfaitement exécuté et jamais monolithique, le clap ne tombe jamais à l’endroit où on l’attendait. Un léger sentiment d’euphorie nous envahit doucement.


Avant cela, on avait pu se reposer de notre gueule de bois de la vieille et de l’avant-veille en se la collant sur les transats, en dérivant de chaises longues en foodtruck, et en détendant nos oreilles avec les belles balades synth-pop cotonneuses et romantiques de Jaakko Eino Kalevi. Ambiance décroissance assurée. On finit par se diriger vers la sortie avec déjà une légère mélancolie, et des gobelets en plastique qu’on a oublié de ramener à la consigne dans les poches. On reviendra l’an prochain.

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