Dans un article (souvent brillant et drôle) titré "Learning To Accept Rap's Generation Gap" et publié sur le site Egotripland il y a presque deux ans, le rappeur/producteur J-Zone - qui fut une figure du rap indépendant du début des années 2000 avant de publier une autobiographie assez cool - se fendait de plusieurs remarques éclairées sur ledit generation gap et sur la définition fluctuante et forcément subjective du terme "golden age" qu'on nous sert à toutes les sauces¹ notamment.
Mais s'il y a un mystère que J-Zone, auteur de quelques solides disques qu'on n'aurait pas dû oublier si vite, n'élucide pas dans sa tribune, c'est celui qui entoure l'accueil plus que chaleureux réservé aux nouveaux revivalistes d'à peine vingt ans qui occupent sans vergogne l'espace depuis quelques années en rappant comme Nas ou Big L (option haute) sur des prods poussiéreuses encombrées de scratchs et en ressortant des gimmicks qu'on croyait mortes avec les années 90. On a beau avoir assisté à d'autres retours de hype incongrus et connaître notre Simon Reynolds sur le bout des doigts, on ne peut s'empêcher de s'étonner que le jeune public rap (qui sait à peine qui sont DJ Premier et Marley Marl) se pâme devant les freestyles à l'ancienne du minot Bishop Nehru et que de vieux trentenaires qui ont continué à écouter du rap (dont nous sommes) - à qui ça ne viendrait pas à l'idée de ressortir leurs vieux disques d'A Tribe Called Quest - bougent la tête sur les double-times de Joey Bada$$, tête de pont de ce revival boom-bap qui est même arrivé aux oreilles de Télérama et Jimmy Fallon.
À la faveur d'une première mixtape patinée qui recyclait une boucle de MF Doom par-ci, un refrain de Nas par-là et à laquelle, franchement, on n'avait pas grand-chose à reprocher, le Brooklynien Joey Bada$$ s'était fait une place dans le petit club des rappeurs qui prétendent refuser des chèques à 9 chiffres alors qu'ils sont déjà enrôlés par l'une des vieilles majors du disque et avait à lui seul relancé la mode du bob camouflage, rouvert la chasse aux wack-mc's et réhabilité le microphone check. Il a aussi - et ce n'est pas la conséquence la moins cocasse - fait croire à une palanquée de beatmakers has been qu'ils pouvaient enfin se payer sur la bête en exploitant les presets de leur MPC 2000.
L'effet de surprise dissipé et l'espoir de trouver au sein de son crew Pro Era une demi-douzaine de lycéens aussi doués que lui envolé (la mixtape collective P.E.E.P the aPROcalypse nous avait un peu refoidi), Bada$$ sortait un an plus tard Summer Knights, précédée d'un single produit par DJ Premier lui-même (avec un vrai refrain scratché dont on ne doute pas qu'il fît l'objet d'une clause spécifique dans le contrat) et portée par le véhément "95 til Infinity", ixième preuve que le jeune homme né en 1995 connait aussi bien ses underground classics que les grands du quartier. Joey se la joue plus mûr et plus sombre, sa voix et son ton se sont endurcis et il prend ses distances avec le rap positif des Native Tongues. Une opération certes rondement menée mais entachée par de belles fautes de goût - des sirènes et petits refrains raggamuffin et R'n'B aux possecuts mous qui rappellent les heures les plus sombres de ce qu'on a un temps appelé le rap middleground - comme si on lui avait demandé de prendre tout le rap des années 90 en un seul bloc, le meilleur comme le pire, et de se demmerder avec.
¹"Demande-moi de faire un DJ Set "Golden Era" et je te jouerai des disques à 116 BPM sortis en 1990, mais la plupart des gens ne réagissent pas tant que tu ne joues pas les trucs de Nas, du Wu Tang, de Biggie, d'A Tribe Called Quest sortis cinq ans plus tard et qui ont bien 20 BPM de moins"
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