À côté d’essentielles rééditions reggae (les 100% dynamite), funk/soul (de Philadelphie ou de la Nouvelle Orléans), jazz (New Thing, Black Fire New Spirits !), et d’érudites excavations (latines, punk, krautrock, électroniques, disco ou même country), le label anglais Soul Jazz Records poursuit son exploration des plus beaux crossovers musicaux que la Terre et son 20ème siècle aient portés,. Il présente ces jours-ci une scène relativement méconnue mais assez exemplaire dans cette manière d’hybrider différents genres musicaux (comme le firent le tropicalisme brésilien, l’afro-beat ou le high-life nigérians), d’incorporer à sa culture ancestrale les apports des différentes populations arrivées, par vagues successives, sur son sol, et de produire ainsi une musique qui soit autant le reflet d’une histoire que d’une géographie.
Au Venezuela dans les années 1970, la situation du pays, géographique (voisinant Colombie, Brésil et Guyane) et historique (jeune démocratie - depuis 1958 - et premier producteur de pétrole d’Amérique du Sud), lui permit d’investir massivement dans l’éducation et la culture (art, architecture, théâtre, musique) et de favoriser notamment l’émergence d’une scène musicale assimilant la modernité à ses traditions. Le Venezuela, colonisé (et décimé) par les conquistadors au 16 e siècle, a vu plusieurs vagues d’immigration mélanger sa population indigène, d’abord aux esclaves africains, puis aux migrants italiens, portugais, arabes, allemands, juifs marocains, ainsi qu’à ceux venus des caraïbes voisines (Cuba, Puerto Rico, Jamaïque). Selon Stuart Baker, boss de Soul Jazz Records et rédacteur d’un livret détaillé (d’où nous tirons la plupart de ces informations, il faut bien le dire), « 75% des Vénézuéliens aujourd’hui se décrivent eux-mêmes comme métissés. L’instrument national est la guitare à quatre cordes (originaire d’Espagne) et le sport national est le baseball américain. ». Ce joyau multiculturel a donc produit, au fait de sa prospérité économique, une musique tropicale, sophistiquée, hybridant toutes ces influences quand les moyens de diffusion et de production de la musique furent accessibles à une majorité de la population.
Pablo Schneider - Amor en Llamas
03:20
Dès les années 1960, cet étrange mélange de musiques folkloriques locales (Joropo,
Malaguena), de polyrythmies afro-cubaines, de rhythm’n’blues, jazz et rock psychédélique anglo-saxon, trouva de nouveaux champs d’expérimentation qui culminèrent dans les années 1970 avec l’utilisation de synthétiseurs, figurant presque la
synthèse proprement dite qu’effectuaient alors, de manière très singulière, les musiciens vénézuéliens (et l’art vénézuélien en général – en témoignent les productions architecturales modernistes-futuristes de l’époque, ou le succès des artistes plasticiens cinétiques, comme Soto, ou Gego) .
Ainsi Vytas Brenner, arrivé d’Allemagne avec sa famille en 1949, puis reparti étudier la musique contemporaine aux États-Unis, puis revenu au Venezuela devenir une pop-star, mélangeait, en solo ou avec son groupe
La Ofrenda (L’offrande) des expérimentations électroniques avec des jam de rock progressif et des rythmiques latino-américaines, en un mix assez inouï de nos oreilles occidentales.
Vytas Brenner - Araguaney
02:49
Après avoir joué du clavier dans un groupe psyché local renommé (Gas Light), Angel Rada profita lui aussi des connexions du Venezuela avec la vieille Europe (le pétrole…) pour visiter le studio Kling Klang de Kraftwerk à Düsseldorf, se lier d’amitié avec Klaus Schultze, avant de devenir en Amérique du Sud un des pionniers de la musique électronique, ambient en particulier, qu’il définit comme « ethnosonique », et dont ce Pasheeba est un des plus étranges exemples :
Les groupes
Aldemaro Romero y Su Onda Nueva, Apocalipsis, Grupo C.I.M. ou
Un Dos Tres y Fuera furent eux plus inspirés par leurs voisins tropicalistes, assimilant comme les « cannibales » brésiliens
(Os Mutantes,
Caeano Veloso) les sonorités pop, électriques, occidentales, à leurs traditions. Ils s’en éloignent cependant par l’apport afro-cubain au psychédélisme nouveau, et une tendance à la démonstration virtuose à la guitare (l’instrument de prédilection, donc, concourant aux solos les plus pénibles avec Carlos Santana).
ALDEMARO ROMERO Y SU ONDA NUEVA "Irene"
02:16
Miguel Angel Fuster ou
Pablo Schneider, plus chevronnés et académiques, composèrent de nombreuses BO de films pour le Nouveau Cinéma Vénézuélien, néoréaliste et subventionné, ou pour la télévision, entre musique de
gialli italien, salsa baroque et
musica de ascensor.
Miguel Angel Fuster - Polvo Lunar
08:50
Tous ces musiciens témoignent d’une période de l’histoire du pays assez enchantée et optimiste, quand le pétrole coulait à flots en même temps que les tubes à la radio. La parenthèse s’est arrêtée dans les années 1980, avec de nouveaux quotas pétroliers imposés par l’OPEC et une crise économique qui perdure depuis, ayant mis la majorité des Vénézuéliens dans la pauvreté, malgré les grandes ressources naturelles du pays et les réformes sociales tentées par Hugo Chavez (entre 2002 et 2013). Restent de beaux souvenirs de ces
locos Caraquenos (habitants de Caracas) des 70’s, on remercie Soul Jazz pour l’album photo.
Vytas Brenner Ofrenda - Caracas Para Locos - Avila
09:03