Robert Hood qui fait un concept album sur Detroit, c'est un peu comme si les Fabulous Trobadors sortaient un opéra-bouffe sur Toulouse: un truc tellement attendu que son existence même devient le plus inattendu des mystères. Mais ils sont comme ça, les pauvres petits gars de la Motor City, 25 ans après que les Belleville Three aient dû rétrocéder leur monstre gracile aux rougeauds Rosbifs gobeurs d'ecstasy (dernier avatar, la merveilleuse electrosie), l'auto-historiographie et le déroulage des lieux communs reste le meilleur moyen pour les vétérans de deuxième ou troisième génération pour continuer à rembourser l'hypothèque vérolée de leur pavillon en ruines. Fait plus bizarre encore, le deuxième père de l'aristocratie US techno, inventeur involontaire de la minimal et auteur avec UR des plus grands concept albums de l'histoire de la techno, aurait eu l'idée de Motor en matant un docu de Julien Temple produit par la BBC sur la catastrophe industrielle et économique de la ville où il a grandi. On ne sait pas trop si l'on frise l'autodévoration ou si la boucle est bouclée, mais il se trouve que l'album est son plus enlevé et inspiré depuis longtemps, bien plus engageant en tout cas que le secos Omega de 2010.
Très varié, Motor est bien sûr detroit-esque jusqu'à la moelle et, au premier abord, pas de la plus belle version: dans les moments conquêtes du dancefloor, c'est clean, froid et high-tech à la limite du désincarné, comble de l'incommodant pour un Père fondateur. Mais de fait, Hood n'est pas Theo Parrish et n'a pas attendu Ableton Live ou Reason pour préfèrer le mindfuck digital au purisme analogique.
Et puis il y a les ballades, les bizarreries deep jusqu'à l'Enfer et les moments de bravoure cinématiques qui éclairent au moins l'album pour moitié comme elles éclairent tous les disques estampillés Robert Hood depuis le légendaire et pourtant très sévère Internal Empire: en vrai beau disciple de Kraftwerk, l'Américain continue l'aventure de la musique de machines en appuyant sur les boutons un peu au hasard, glâne les inquiétantes étrangetés et les beautés abîmées, et il a bien raison.
La preuve: malgré son titre programmatique comme un flyer pour le Detroit Electronic Music Festival, Drive (The Age of Automation) ne ressemble à rien. Sorte de réduction post-italo mid 80s absurdiste portée par une bassline débilos qu'on aurait été moins surpris d'entendre dans la bouche de Villalobos ou des mutants de la bande Cómeme, c'est le genre de morceaux tellement hirsutes et inexplicables qu'ils en deviennent aptes à lancer des sous-genres ou des vocations. Robert Hood est un putain d'auteur.
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