Au Japon, le terme "idol" recouvre toute la pop music manufacturée par les Talent Agencies - business gangréné par les yakuzas pour blanchir leur pognon, mais c'est une autre histoire - qui fabriquent des pop-stars à usages multiples pour les ados du pays.
À mi-chemin entre le role model et la girl next door, ces idols des jeunes (tiens bon Johnny) commencent très tôt, multiplient les carrières, et, Japon oblige, hybrident tous les genres musicaux de l'univers, du punk vicieux au heavy metal dégoulinant en passant par la darkwave, le krautrock et le boom-bap.
Dans le cadre de notre semaine du (mauvais) goût, Florian Schall, disquaire messin émérite, moitié de Specific Recordings et fan assumé de musique d'idole nous a sélectionné 17 titres pour nous permettre d'y voir un peu plus clair dans cette scène aux codes complexes et aux ramifications infinies.
GUARDIANS 4 - Omakase Guardian
C'est en découvrant ce titre des GUARDIANS 4 (all star band éphémère regroupant des membres de MORNING MUSUME, BERRYZ KOBO et C-UTE) sur No Life que j'ai définitivement basculé du côté rose bonbon de la force. Sa durée de 3:25 minutes (plutôt inhabituelle pour de la musique d'idol) en fait une popsong obsédante absolument parfaite qui filerait même une demie-molle à Aidan Baker.
BIS - Nerve
Je pourrais te parler de BIS pendant des heures mais je n'ai pas trop la place pour ça, je crois. Sache juste que ce groupe est putain d'important pour 1500 raisons (le mouvement anti-idol, l'unanimité autour du groupe au sein des différentes scènes de musiques extrêmes au Japon, la réappropriation intelligente des codes contre-culturels locaux et occidentaux) mais surtout pour ce morceau joué en live lors de leur ultime concert au Yokohama Arena devant 15000 personnes. Ce refrain et cette chorégraphie... J'y étais, j'en chiale encore.
BISKAIDAN - Suki Suki Daisuki
C'est cette reprise complètement folle du tube de Jun Togawa qui nous a convaincu de sortir de la musique d'idol en vinyle avec Specific Recordings. Ecoute comme ça chie. Ecoute comment le bordel terriblement vicieux d'Hijokaidan se marie avec la pop alternative sautillante de Bis. L'approche perverse et transversale de Jojo Hiroshige transforme ce trésor national d'apparence inoffensive en truc vraiment dangereux. Faut voir la tension et le bordel ambiant en live. C'est une véritable épiphanie.
BISH - Deadman
La suite directe et logique de Bis après la désastreuse aventure solo de Pour Lui. Merci Kenta Matsukuma, homme de l'ombre et grand fan de Burning Spirit devant l'éternel. Deadman est un opening parfait, urgent, punk à l'os. Pas besoin de crète (poke Ishiya-san). J'aurais aimé que tout l'album (Killer Bish) soit de cet acabit, mais faut pas trop en demander non plus.
NECRONOMIDOL - Dawnslayer
J'ai du mal à être impartial avec Necroma. On les suit depuis le début en sortant les versions vinyle de leurs albums. Elles pourraient devenir les prochaines BABYMETAL mais je pense qu'elles s'en foutent, au fond. Elles allient une démarche résolument DIY à une volonté expansionniste clairement revendiquée (elles organisent leurs tournées elles-même, que ce soit au Japon, aux USA ou en Europe, et restent autoproduites), et pour moi, leur mélange très personnel de trve black (du moins, à leurs débuts), de darkwave et d'idol music fonctionne à la perfection.
HANAKO - SAN Yon Ji Yon Yon Fun
Chaque concert d'Hanako-San est prétexte à un festival d'humiliations pour ses fans transis d'amour qui, d'ailleurs, en demandent toujours plus. Plus de baffes, plus de crachats, plus de cris perçants. Le rouge de son uniforme est de la même couleur que le sang qui coule de tes oreilles. C'est marrant.
YOU'LL MELT MORE - Sweet Escape
Sur ce site de barbus quarantenaires bedonnants, tout le monde écoute du krautrock. Ca tombe bien, ce fabuleux morceau de You'll Melt More reprend les codes imposés par Can et Neu tout en emmenant son concept vers des cimes hypnotiques rarement atteintes par un autre groupe d'idols jusqu'à présent. En même temps, une formation qui parodie intelligemment des artworks d'ESG, Suicide et Primal Scream ne peut avoir que ta sympathie, cher lecteur quarantenaire barbu (et bedonnant).
DOTS - Suraido
Dots, c'est Miki Berenyi au pays des Morning Musume, c'est Ride qui reprend Pon Pon Pon de KPP, bref c'est My Kawaii Valentine. Si Pitchfork avait connaissance de l'existence du sextet masqué (Polysics n'est jamais très loin), je suis sûr qu'il lui donnerait un bon 7.2 sur 10.
XOXO EXTREME
Si tu es arrivé jusqu'ici, tu as compris que l'idol music s'accommodait avec plus ou moins de bonheur à tous les genres musicaux existants. Avec XOXO Extreme, on est en présence d'un pur fantasme de producteurs fans de prog rock rital à la Goblin / Museo Rosenbach / Banco Del Mutuo Soccorso. Un truc qui peut plaire aux otakus comme aux soixantenaires à queue de cheval blanche. On garde un œil plus qu'insistant sur ce tout jeune groupe déjà bien en place, et il est fort à parier qu'un album sorte dans le courant de l'année prochaine.
LYRICAL SCHOOL - Tsure Te Tte Yo
De toutes les mixtures passées à la moulinette idol, je pense que c'est celle des mignonnes de Lyrical School qui me fait le plus d'effet. Les écouter rapper approximativement sur des instrus d'un autre âge est aussi délicieux à mon oreille que les apparitions sonores de la petite Japonaise dans les vidéos de The World Of Dave ("cupokeki !").
DEMPAGUMI INC. - Sabotage
Les Dempa ont toujours eu le cul entre deux chaises, privilégiant une esthétique très grand public au service d'une musique bien plus barrée que la moyenne. Même si j'ai perdu foi en elles avec leur très décevant quatrième album, il reste toujours ce World Wide Dempa complètement fou et survitaminé d'où est extrait la meilleure reprise des Beastie Boys du monde.
NEGICCO - Mujun, Hajime Mashi Ta
La fierté de Niigata est l'un des groupes d'idols les plus anciens en activité. Faisant fi des modes musicales et vestimentaires, les trois demoiselles tracent leur route depuis 2003, alignant singles irréprochables sur albums apaisés, propageant leur j-pop mélancolique avec conviction et ce petit soupçon de nostalgie (textes, artworks, promo) qui fait toute la différence.
MOMOIRO CLOVER Z - Neo Stargate
Momoclo, c'est de l'idol music bigger than life et kooler than Jesus, ou quand le heavy métal épique rencontre la musique classique. Tu vas me dire, c'est un peu la recette d'un bon opening d'animé. C'est pas faux. Et les 5 de Tokyo en sont clairement les patronnes incontestées.
Idol music niveau expert : Passcode et son improbable crossover entre crabcore caramélisé et One Ok Rock sauce dubstep. Si tu ne peux supporter tel mélange, retourne écouter King Krule.
OOMORI SEIKO - draw (A) drow
Rien n'arrête Oomori Seiko, ni les critiques sur son physique, ni les barrières stylistiques. Celle que l'on surnomme "la reine des anti-idols" mène depuis 2012 une carrière exemplaire faite de scandales (elle embrasse un fan durant un concert) et de traits de génie (Zetta Shoujo est un fourre-tout incroyable), envoyant chier les trolls apeurés par sa démarche résolument féministe. Elle a Shiina Ringo pour modèle, et cela veut tout dire.
HOSHINO MICHIRU - Nihongo O Narau
Rescapée de l'ogre AKB48, la petite Hoshino a su s'émanciper sans problème de son ex-formation musicale cannibale. Quelques clins d'yeux aux années 80, à la Super City Pop et au Boom Bap, une candeur vocale qui rappelle Natsuko Aso (qui aurait sans problème eu sa place ici) et un tube indéboulonnable (issu de son troisième album solo) à écouter en boucle jusqu'à ce que mort s'ensuive (bon ok, elle ne se considère plus comme une idol mais bien comme une chanteuse à part entière ; on s'en fout, la chanson bute).
#passionhandicap