Pour pas mal de gens, le génie d'Arthur Russell aura particulièrement brillé dans la pluralité de ses propositions et dans sa versatilité. Si cette affirmation un peu péremptoire se discute, c'est en tout cas par ce biais qu'on ne peut s'empêcher d'aborder son œuvre, protéiforme, multiple et changeante, allant constamment piocher selon ses envies dans la musique classique, la pop expérimentale, la musique de club et frayant avec l'avant-garde new-yorkaise. On ne va pas vous refaire un énième topo sur les 4000 projets engagés durant sa courte existence, car de Loose Joints aux instrumentaux repris par Peter Gordon en passant même par sa tentative d'audition d'un tout jeune Vin Diesel - eh oui - il y aurait de quoi noircir au moins quinze feuillets.

Concentrons-nous aujourd'hui sur The Necessaries, groupe éphémère qu'il a rejoint en 1982 et qui était notamment constitué de Ernie Brooks - qui officia comme bassiste des Modern Lovers de Jonathan Richman quelques années auparavant et qui a collaboré avec Russell par la suite à de nombreuses reprises. Ce qu'il y a de surprenant dans Event Horizon, cet album de The Necessaries paru en 1982 et en écoute intégrale ci-dessous, ce n'est pas tant qu'il ressemble à une version fantasmée et idéale d'un croisement entre l'art rock de la Côte Est de The Feelies et la pureté power pop de The Nerves - car dans la musique oubliée puis redécouverte d'Arthur Russell qui refait régulièrement surface, il y a de toute façon très peu de déchet.

Non, ce qu'il y a de véritablement surprenant dans cet album de The Necessaries, c'est plutôt qu'Arthur Russell ne semblait pas spécialement porter la chose indie rock dans son cœur - il se rendait au CBGB's, mais ne se montrait pas spécialement enthousiaste par rapport à ce qu'il s'y passait. Pourtant, à l'écoute du disque en question, on est immédiatement frappé par la beauté, l'évidence, la clarté de l'objet. Ce qui confirme encore un peu plus, s'il en était besoin, que le compositeur américain était, comme l'affirmait Ernie Brooks, "un des musiciens les plus naturellement doués qu'il ait eu l'occasion de rencontrer", même lorsque celui-ci s'emparait de formes qui ne l'emballaient pas plus que ça.