Il ne fait pas un pli que cet article fera plaisir à beaucoup de monde. En fouillant au plus profond de nos mémoires d'éléphants marins, impossible en effet de mettre la main sur un label de house ou de techno qui provoque autant d'amour et de passions chez autant de publics différents et depuis aussi longtemps que Dance Mania. Un chouilla moins illustre que les monuments Trax et DJ International, un tantinet moins culte que l'adorable Nu Groove des frères Burrell, cette antenne du disquaire Barney's Swing Shop de Chicago a systématiquement la préférence de milliers de DJ, geeks et danseurs depuis plus de quinze ans - le plus souvent pour des raisons tout ce qu'il y a de plus pragmatiques. Demandez à n'importe quel DJ classic techno, classy house, vintage jackin' à Rotterdam ou turbines à Miami, interrogez Diplo, Nina Kraviz ou Ron Morelli sur leurs classiques de peaktime préférés, il y aura toujours un Duane & Co., un Eric Martin ou un Parris Mitchell en haut du panier.
Demandez aussi à ces encyclopédistes en herbe dont vous avez croisé la route dans les rooms les plus exclusives de Soulseek quel est le label dont ils n'échangeraient les rip en FLAC contre aucun premier pressage hyper coté sur la Terre: dans le genre ruff et salace, rien n'est plus précieux qu'un bon vieux Robert Armani sur Dance Mania.
Aux yeux du docteur ès house music, la petite maison fondée en 1985 par Jesse "On and On" Saunders et le disquaire Raymond Barney est bien sûr celle qui aura témoigné le plus bruyamment et le plus lisiblement de la mutation de la Chicago house première génération (jackin, acid, ou chantée) en ce truc génialement brut et bourrin qu'on appelle la ghetto house. Au coeur des années 90, les rouleaux compresseurs de Robert Armani des gamins DJ Funk ou DJ Deeon n'avaient pas seulement remplacé Ten City ou Farley Jackmaster Funk dans le coeur des danseurs de house et de techno, ils étaient la house de Chicago.
Mais l'âge d'or de la ghetto house ne suffit pas à expliquer le consensus autour de Dance Mania, ni sa perennité malgré son catalogue monstrueux (300 références) et la grosse quantité de trucs passablement trashy et utilitaire des trucs qu'on y trouve.
C'est le principal atout de cette géniale petite anthologie qui sort ces jours sur le Strut Records de Quinton Scott: dissoudre les a priori et lever le voile sur la nature profonde et méconnue de ce fleuron de la musique de Chicago, et tenter d'expliquer pourquoi même ses salaceries hâtivement bricolées entre deux rails de speed ('"quick and dirty was the rule", dixit cet excellent article du Chicago Reader) sonnent toujours si fraîches et pétaradantes 20 ans après.
La vérité, c'est que la ghetto house systématique ne concerne que la deuxième vie du label, qui a plus ou moins commencé aux alentours de 1993 avec la sortie du "House the Groove" de DJ Funk. Le secret (de polichinelle) de Dance Mania, ce sont les dizaines de merveilles de garage sautillant et de deep house très tendre qui jalonnent son catalogue entre 1986 et 1992, et sans surprise, ce sont eux qui se taillent la part du lion dans cette compilation.
Pour citer cette interview du boss de Strut parue chez nos collègues de Noisey, "Les sorties ghetto/hard house (de Dance Mania) étaient de qualité mais leurs débuts ainsi que la phase deep, soulful, voire atmosphérique du label est clairement au dessus pour moi. Ecoutez « Club Style » de Paul Johnson, Strong Souls et les vocal tracks de Victor Parris Mitchell". Il ne manquait sans doute que ce salvateur acte de révisionnisme pour que Dance Mania, récemment ressuscité par Ray Barney avec Parris Mitchell, acquière ses dernières lettres de noblesse et achève son édification devant l'Histoire; on trouve que c'est une superbe idée.
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