Huit ans que ça dure. Huit ans qu’à chaque rentrée, des amis et des connaissances, de plus en plus nombreux, me tannent avec le Baleapop, sa programmation exigeante-mais-pas-snob dans un parc enchanteur, ses plages où chiller en attendant que la marée n’emporte les nymphes topless et les surfeurs aux fessiers d’acier, sa gastronomie terre-et-mer gorgée d’amour et de piment d’Espelette, son équipe en forme d’énorme bande de potes aux bras ouverts et aux poches vides, son atmosphère d’endless summer qui colle un sourire agaçant au visage des élus précités jusque dans les couloirs les plus sinistres du RER B. Il était donc temps que je me frotte au "secret le moins bien gardé des micro-festivals français les plus pointus" (dixit mon collègue habitué Benjamin Leclerc) pour tenter d’en révéler le secret honteux, le vice de forme, la couille dans le ttoro (potage basque) ou, au pire, passer du putain de bon temps en compagnie de gens formidables - sait-on jamais.

Parc Ducontenia - © Jules Rouffio
Parc Ducontenia © Jules Rouffio

Vendredi 26 août


Arrivé en gare de Saint-Jean-de-Luz – Ciboure, je profite de l’absence de tout organisateur à proximité de mon supposé logement (la partie haute d’un lit superposé dans un dortoir, ça commence mal) pour traîner mon sac à dos de la paisible Ciboure à la bondée Saint-Jean-de-Luz (insérer ici une insulte anti-touristes). Plutôt que de faire du stop jusqu’à la plage de Zenitz comme suggéré dans l’inénarrable section Infos pratiques du site officiel - "Nous vous déconseillons de vous rendre en voiture aux différents lieux. Privilégiez les transports en commun, le covoiturage, et la marche à pied", je me gave de chipirons en terrasse en observant le vol des mouettes. L’occasion de me préparer mentalement aux 7 heures de live du soir, à moitié hanté par l’idée de devoir forcer la porte d’une cabine de plage pour cuver un peu avant le lever du jour. Entré dans le Parc Ducontenia avant tout le monde par une porte dérobée (mais que fait la sécu ?), je picore des croquettes de morue en attendant (longtemps, les Basques étant au fond presque des Espagnols) que le duo guitare-batterie Fusible (des gars du cru) ne lance les hostilités, dans un registre post-hardcore/néo-grunge/alt-metal efficace quoique balisé. 

La soirée prend son envol avec la prestation surchauffée du très attendu Mdou Moctar, qui entraîne la foule de plus en plus dense dans une tempête de sable blues et psyché, avant de laisser place à la synth pop japonophile de la Russe Kate NV, qui mystifie tous ses aficionados (du moins ceux, majoritaires, qui ne l’avaient jamais vue en vrai) avec sa personnalité volcanique que ses glaçons mélodiques (ceux du merveilleux Binasu) ne pouvaient laisser paraître – comme une Björk en beaucoup moins chiante, si on veut. À 2h30, égaré dans Ciboure à la recherche d’un abri, encore dans le flou du trip forcément kosmisch de Zombie Zombie, je suis sauvé par Pierre Laffite, co-fondateur du collectif Moï Moï et du festival, qui m’ouvre la porte de son appartement. Je m’effondre sans même avoir le courage de taper dans son exceptionnelle collection de bédés.

Zombie Zombie - © Remy Golinelli
Zombie Zombie © Remy Golinelli

Samedi 27 août


Au petit matin (11h46), Saint Pierre est parti depuis longtemps mais ses amis m’accueillent à table où s’échangent le café frais et les tomates du jardin. C’est avec eux que je passe l’après-midi sur la plage de Zenitz, eux qui partagent leur fourgon, leur parasol, leur serviette, leur crème solaire, leur shit, leur bonne humeur aussi généreuse que ce plat de couteaux à la plancha servi au food bus pour la somme fascinante de 7 euros, transformant une activité redoutée (la bronzette en milieu sableux et surpeuplé) en miracle de communication fraternelle. La magie ne s’évanouit pas avec les derniers rayons de lumière sur l’écume océanique et les ultimes pépites disco déterrées par les DJs (pas sûr de savoir qui jouait en l’absence du capo Daniele Baldelli, arrivé à la bourre), mais se poursuivra jusqu’au bout de la nuit. 

 - © Remy Golinelli
© Remy Golinelli

Avec pour pics d’émotion une bonne surprise (Vanishing Twin, troupe de néo-babas psychés brillant par sa générosité instrumentale), une mise à niveau de légende (A Certain Ratio, qui prouve qu’il n’a rien perdu de son groove pervers ni de son caractère purement mancunien – quand un festivalier trop enthousiaste a la mauvaise idée de jeter son verre, Simon Topping lui propose de s’expliquer sur scène – et nous laisse à genoux après un final post-punk stupéfiant de fraîcheur) et la confirmation d’une bête à transe en la personne d’Usé, qui a trouvé à force de persévérance le set up parfait (batterie live sauvage, basses filtrées fulgurantes, hurlements contrôlés) pour faire danser les punks de tout âge et toute confession. Détail sublime ? Non seulement Don’t DJ, qui a loupé son vol, est remplacé au pied levé par un Etienne Jaumet en grande forme, mais on me propose de récupérer sa chambre dans un hôtel 3 étoiles à quelques pas du Parc – et dieu sait que la tendresse du lit rivalisait sans peine, à ce moment de l’aventure, avec celle que je porte à Musique Acéphale.

 - © Remy Golinelli
© Remy Golinelli

Dimanche 28 août


Réveillé par les futurs occupants qui ne sauront jamais rien de cette histoire de lit musical, je vide le sable de mes chaussures et regagne la gare, esquissant le seul faux-pas gastronomique du séjour (un axoa de veau trop salé – mais pourquoi ne suis-je pas resté pour la Grande Bouffe ?!!) avant de repartir pour la capitale, avec sur le visage un sourire assurément agaçant qui résiste jusque sur les banquettes les plus odieuses du RER B. La prog’ exigeante-mais-pas-snob, l’énorme bande de potes, le piment d’Espelette, les surfeurs topless, l’été qui ne finit jamais : toutes les rumeurs délirantes sur le Baleapop étaient fondées.

 - © Jules Rouffio
© Jules Rouffio

Crédit photos : Remy Golinelli / Jules Rouffio