Il est toujours compliqué d’écrire un report sans tomber dans le papier de complaisance ou dans l'exercice de style gonzo casse-gueule. Le niveau de complexité monte encore d’un cran quand on ne peut passer que deux jours sur un festival qui en dure cinq, dont les salles sont tellement bondées de jeunes grecs en sueur qu’on rate une grosse moitié des performances et que notre maigre - bon, ok, inexistante - connaissance de la langue nous interdit d’échanger avec les locaux, plus occupés à battre du pied, à essayer de se choper et à bouffer des snacks entre un live de Kalkbrenner et un set de Recondite qu’à répondre à un journaliste perdu dans la fosse. Sans rancune, on aurait fait exactement pareil. 

Commençons par poser le contexte : depuis 13 ans, Reworks invite les grosses têtes de la techno mondiale à Thessalonique (la "capitale culturelle" de la Grèce, capitale de la Macédoine centrale et plus grosse ville du sud des Balkans), le temps d’une semaine au cours de laquelle le festival investit différents lieux de la ville, warehouses, clubs ou terrasses d’hôtel. Cette année, le plus gros de l'action se déroulait à la Fix Factory, ancienne usine perdue entre le centre ville et le front de mer. Par ailleurs, le festival collabore avec We Are Europe, le collectif européen pensé par l’équipe d’Arty Farty qui s’occupait de la curation de la soirée de clôture de cette édition de Reworks. 

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Premier choc à la descente de l’avion : passer des timides 12° franciliens aux quasi 40° locaux et de l’ambiance feutrée de l'aéroport Charles-de-Gaules au bordel ambiant de l’aéroport de Thessalonique permet de se mettre tout de suite dans le bain, impression confirmée par le paysage qui défile devant les vitres du taxi, cailloux, cagnard et oliviers.

Un petit tour en ville - pensez mega mash up entre ruines grecques, cité balnéaire de la Costa Brava, grandes enseignes et boutiques entièrement dédiées à la vente de portraits de Jésus - et un resto de poissons plus tard, nous voilà dans l'un des entrepôts de la Fix Factory, aux alentours de deux heures du matin, à quelques minutes du début du live du duo irlandais Bicep.

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La géographie, la météo et la gastronomie grecque diffèrent pas mal des nôtres, sans surprise c’est aussi le cas du public. Attentive au changement de plateau, l’audience un peu attaquée mais pas trop acclame Andy Ferguson et Matt McBriar - pourtant pas plus lookés que les techniciens qui viennent de faire leur set up - dès qu’ils apparaissent sur scène et réagissent à tous les morceaux que le duo balance depuis le gros synthé modulaire d’où il déroule l’intégralité de son premier long-format paru quelques jours plus tôt chez Ninja Tune. Pic d’émotion de la salle devant “Glue”, breakbeat sentimental dont on n'aurait pas pensé qu’il marcherait aussi bien devant une foule compacte à 3h du matin. Très bonne performance des deux Irlandais, alors que l’album ne nous avait pas vraiment convaincu lors de sa sortie. 

BICEP | GLUE

04:32

Découverte en warm up de Bicep, la locale Giganta - qu’on pensait anglaise, la faute à des maxis sortis sur le label d’Actress Werkdiscs et un set 100% UK tout en garage qui remue du boule et en cuts breakés - fait le pont entre le live des deux irlandais et celui du légendaire Ata Kak, le rappeur ghanéen (re)découvert en 2002 par Awesome Tapes From Africa, avec un backing-band au diapason - autre pic d’émotion devant l'infernale Hofner de son bassiste, qui joue de sa basse-luth comme d'une Jazz Bass Fender. Malheureusement le public est un peu trop clairsemé pour que le rappeur ghanéen puisse faire passer sa hip-house highlife à l'intensité idéale.

On passe le reste de la nuit à tenter de rentrer dans les warehouses où ont lieu les lives de Recondite (impossible, 75° celsius et 35 personnes au mètre carré), Adriatique (on arrive à choper 30 secondes de leur set bien plus techno que leurs morceaux avant de sortir en suffoquant), un inconnu barbu (très bon set, mais jouer au même moment que Kalkbrenner et Recondite c'est jouer devant onze mecs trop attaqués pour trouver la sortie par leurs propres moyens) avant de trouver la scène où les choses se passent : une petite salle légèrement en retrait, sur la scène de laquelle deux DJ's passent de la techno rectiligne en invitant les membres du public à les rejoindre derrière les platines pour s’initier à l'art du deejaying. 5 minutes de réflexion intense quand on se rend compte que les sets entendus ici sont loin d’être les plus mauvais auxquels on ait assistés en 10 ans de sortie.

Le lendemain c’est déjà le closing - tout va plus vite quand on ne passe que 39h dans un festival - curaté par les fines gâchettes d’Arty Farty pour We Are Europe. Au programme les deux tauliers de MCDE (le label), Pablo Valentino et MCDE (le DJ).

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Ça se passe sur le toit du Met Hotel de Thessalonique, avec un public composé d’un tiers professionnels aguerris (dont le floor manager d’un grand club scandinave qui nous a donné un super classement des meilleurs DJ’s mondiaux en fonction de leur résistance à l'alcool, liste disponible en DM pour tous nos abonnés premium) d’un tiers de rescapés du festival fatalement pas en très grande forme et d’un tiers de gens en maillot de bain blanc, fausses ray bans et bronzage parfait dont on imagine la vie comme une suite de fêtes sur des rooftops d’hôtel 5 étoiles. 

Valentino passe une sélection Chicago-Caïpirinha pleine de douceur(s) qui correspond parfaitement au cadre avant que Motor City Drum Ensemble ne prenne les platines pour dérouler un set entre obscurités disco et Detroit techno qui colle même les plus endommagés des festivaliers sur leurs deux pieds. Alors qu'on évite un mec en sandalettes parti dans une série d'entrechats sur "Make Some Noise" de Boo Williams, on tombe sur Kosmas Efremidis et Aktsoglou Panagiotis, soit les deux propriétaires de Stereodisc, le plus cool - et à notre connaissance le seul - disquaire de Thessalonique. Du haut de leurs 50 piges bien sonnées les deux barbus identifient tous les disques que jouent Pablo Valentino et MCDE entre la première et la troisième note, on fait de notre mieux pour ne pas paraître impressionné. Assez vite la conversation arrive à la situation politique grecque dont se rend compte qu'elle est bien plus semblable à celle de la France que ce qu'on voudrait penser, Aube Dorée en plus. 

Notre séjour en Grèce s'achève quelques heures plus tard, forcément devant un kebab, aux alentours de 2h du matin. En regardant les gens déambuler sous la chaleur écrasante de ce dimanche soir de septembre on se promet de revenir faire un tour à Thessalonique - cette fois en prenant un peu plus de temps qu'un week-end car la ville, ses habitants, sa scène électronique (et ses restos de poisson) méritent qu'on s'y penche très sérieusement.