Ne comptez pas sur moi pour me lancer dans une diatribe point par point concernant l’état déplorable de la scène musicale française actuelle et de la bienveillance médiatique qui l'entoure, car ce serait me montrer d'une agressivité gratuite envers des gens somme toute assez inoffensifs et qui n'ont rien demandé, et que, vu l'heure qu'il est, mon réquisitoire prendrait plus des allures d'enfonçage de portes ouvertes que d'argumentaire étayé et intellectuellement nourri.
Cependant, lorsqu'on interrogeait le chanteur de Fat White Family sur le Brexit il y a plusieurs semaines déjà, Lias Saoudi nous disait que selon lui, le problème de l'inanité et du manque cruel de voix forte dans la pop angaise actuelle résultait avant tout d'un problème de classe, et que si les groupes actuels d'outre Manche avaient aujourd'hui si peu de choses à dire, c'est qu'eux-mêmes baignaient dans un trop grand confort matériel pour pouvoir s'insurger contre quoi que ce soit. Si nous nous garderons d'émettre quelque jugement de la sorte à l'égard de la piètre qualité de la pop de chez nous (après tout, nous ne sommes pas en Angleterre), il y a tout de même un parallèle que l'on sera tenté d'établir si l'on prend le raisonnement dans le sens inverse, au moins au niveau de la teneur des différentes propositions artistiques.
La fameuse bière locale "Nuke"
Il n'y a qu'à observer ce qui se passe du côté de formations peut-être moins exposées, mais qui correspondent selon nous beaucoup plus à l'idée que l'on se fait du (post) punk et de la musique à guitare qui se devrait d'être un peu plus dans l'affront que dans la séduction. Plus encore que dans le garage, c'est aujourd'hui définitivement du côté de cette "chanson dégénérée" que l'on va chercher notre lot de décharges émotionnelles et de danger. Et lorsqu'on observe les propositions des Jessica93, des gars de la Triple Alliance Internationale de l'est et autres Stasbourg, on est tenté de se dire que c'est peut-être dans la dèche que se déploient les formes les plus viscérales du genre.
Et pour dichotomique que soit cette distribution des cartes, on assume ce léger raccourci, compte tenu de l'état actuel peu reluisant de la scène musicale hexagonale, et d'affirmer que ce qui se fait de plus passionnant actuellement en France n'est pas à chercher du côté des formations institutionnalisées et "aidées", mais plutôt de ceux qui prêchent le DIY, la débrouille et l'auto-gérance dans toutes ses formes, et qui permettent ainsi aux propositions musicales les plus radicales de prendre forme, car débarrassées de toute velléités commerciales et donc totalement libres et désinhibées.
Romain Simon, batteur de Headwar qui s'ocuppait du soundcheck lors de la soirée à l'Accueil Froid
Romain nous dit que bizarrement, c'est lorsque la municipalité est de droite que les élus locaux les laissent les plus tranquilles. En ce moment, le fait que la salle tourne à trois concerts en moyenne par semaine les laissent plutôt sur les rotules, ajouté au rythme de tournée que l'on n'imagine pas des plus reposants et une hygiène de vie que l'on a plutôt tendance à considérer comme fantasque. Lorsque Terrine monte sur scène, on retrouve tout de suite ce goût pour les machines et les sonorités de cave de ferraille qui caractérisent la musique de ses partenaires de jeu, même si la sienne serait plus à raccorder du côté de chez les transfuges de la techno industrielle, type Bunker Records et autres flingués de la Hague.
On l'avait vue auparavant en première partie de Scorpion Violente au Chinois à Montreuil en mars dernier. Cette fois, débarrassée de sa guitare, elle n'utilise exclusivement que des machines, un petit volca bass ainsi que des claviers et boites à rythme rudimentaires. Son changement de set est symptomatique de l'esprit de débrouille et de raccommodage que l'on retrouve chez la bande à Headwar, et à plus grande échelle dans cette scène que l'on a en définitive regroupé de manière un peu hâtive et réductrice sous le terme peu amène de "chanson française dégénérée". Les expressions esthétiques de ces gens-là sont bien trop multiples et changeantes pour être ramenées sous le même étendard.
Claire Gapenne, alias Terrine
À mesure que la soirée se poursuit, et que l'on assiste aux prestations plus ou moins heureuses des autres groupes invités, on se rend compte que c'est justement grâce au genre de structure du type de l'Accueil Froid que peuvent aujourd'hui réellement se développer les propositions musicales les plus catégoriques, être en mesure de pouvoir fuir la prudence et faire bouger certaines lignes. Malheureusement, les salles de ce type se font de plus en plus rares, la faute aux collectivités locales de plus en plus frileuses en ce qui concerne ces projets, ou encore aux voisins qu'on ne peut éviter (à ce titre, les gens de l'Accueil Froid sont tranquilles).
Si l'on considère que le live est une des meilleures manières pour un groupe de se frotter à la réalité du terrain et à assumer son postulat, alors l'Accueil Froid apparait presque comme un îlot salvateur à teneur quasi militante. Si les membres de l'association n'ont pas l'air d'être ouvertement affiliés à une quelconque structure politique (cf. le fameux Parti Sans Cible créé par Usé en 2014 en vue des élections locales, mi-blague potache mi-cri de désespoir), le seul fait de tenir ce genre de structure apparait aujourd'hui comme un geste sinon séditieux, tout du moins activiste, à l'heure d'une certaine forme de désertion culturelle progressive par une partie des pouvoirs publics (combien de centres culturels se font aujourd'hui sucrer les subventions, si ce n'est supprimer?).
On en viendrait presque à se dire que le salut de la musique indépendante française est à chercher du côté de l'auto-gérance et de la débrouille caractéristiques à la fois des laissés-pour-compte et de notre époque de pneus crevés. Mais les quantités non négligeables de Nuke absorbées nous empêchant de réfléchir convenablement, ou ne serait-ce que de tenir une conversation un tant soit peu sensée avec nos hôtes pourtant fort "accueillants", on se contente de tituber comme des branques et de remonter en voiture l'air hagard et le regard vitreux à la fin de la soirée. Direction Paris, donc.
Pour ceux qui voudraient voir de quel bois se chauffe le punk noise industriel de Headwar sur scène, on vous conseille fortement d'aller faire un tour ce soir du côté de la Station – Gare des Mines dès ce soir, où ils se produiront avec J.C Satan, Cockpit et Cocaine Piss. Toutes les informations sont disponibles ici.
Nicolas Belvalette, alias Usé
Les photos couleur sont de Bertrand Hazard. Celles en N&B de Marine Leleu.
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