Il est à peu près aussi facile d'écrire sur le hip hop français que sur les gnostiques du IIème siècle, les trotskistes-lambertistes de la fin du XXème ou les grandes dynasties corses à travers les âges. 

Cette gigantesque famille hautement dysfonctionnelle rassemble des artistes aussi éloignés les uns des autres que Kekra, L.I.M, Damso, Oxmo Puccino, Big Flo & Oli, Kery James, Metek, Ali, SCH, Brulux, Fugazi, DFHDGB ou PNL. En d'autres termes, il n'existe à notre connaissance aucune scène qui compte une telle variété d'acteurs, de rebondissements, de coups de génie - volontaires et involontaires -, de coup de boules, de coups de putes et de politicailleries dignes des pires heures de la Quatrième République. Si vous ne nous croyez pas, on vous conseille d'aller faire un petit tour sur le Blavog


À l'épicentre de tout ça, il y a Alkpote (orthographiez le comme vous voulez), vieux briscard qui distribue les bons et les mauvais points avec aisance, pragmatisme et vulgarité. 

L'ex-moitié de l'Unité 2 Feu est désormais un vrai-faux retraité, amer, lucide, un peu réac et... plus productif que jamais. 


C'est le paradoxe du MC d'Evry-Courcouronnes, à la fois éternel prolétaire du rap et seul mec en France à pouvoir rivaliser avec Booba en terme de vista. Arrivé au moment de "l'âge d'or" de la fin des années 90, il a connu et précédé toutes les phases du hip hop depuis le début des années 2000 grâce à un savant mélange de génie, de crasserie revendiquée et de je-m'en-foutisme assumé. 


Il a fait dans le rap de rue au sein de l'U2F (avec déjà sa signature, faite de rimes multisyllabiques vertigineuses, de références pop-culture éloignées du champ lexical habituel du rap et d'un goût sans limite pour les déviances les plus spectaculaires), avant de passer en solo chez Neochrome où il a pu laisser libre cours à sa bizarrerie aux côtés d'experts de la trempe de Seth Gueko, 25G ou Zekwé Ramos, jusqu'à ce qu'une prise de tête sur Twitter ne l'oppose à ce dernier et qu'il ne parte à la recherche de nouveaux camarades de jeu. 

Ce seront les rappeurs pointus de Butter Bullets (notamment avec "Chiens", classique instantané de sa discographie à rallonge), puis DJ  Weedim et sa bande de millenials décolorés et décomplexés, Vald en tête. 


Vald qui ne rate pas une occasion de témoigner de son admiration pour Alka, père putatif de toute une frange du rap français, un rapide coup d'oeil à ses featurings passés et présents suffit à la confirmer. 


On y trouve pêle-mêle le Kaaris d'avant la déflagration Or Noir, Seth Gueko avant le départ pour la Thaïlande et le cosplay permanent de Sons of Anarchy, les jeunes gens bien sous tous rapports de 1995, le Young Thug tunisiano-belge Hamza, son continuateur Vald, le tout sans compter les déclarations d'admiration de Niska ou SCH. 

En résumé, et comme nos estimés confrères de Noisey et du Mouv l'ont déjà souligné, la quasi totalité des rappeurs qui fonctionnent aujourd'hui ont une dette envers l'empereur de la crasserie, que ce soit le décorsetage du rap français (parler de sa bite à longueur de complet n'a pas toujours été une évidence), la banalisation des schémas de rime hyper complexes (coucou Nekfeu), ou la prise en compte de la nouvelle sociologie hip hop (quiconque a été voir Damso, Orelsan ou PNL en concert sait qu'il y a un bon moment que l'audience rap n'est plus majoritairement banlieusarde).


Et après ?  On pourrait terminer par l'éternelle analogie avec Schuman, Claudel ou Van Gogh, trop en avance ou en décalage pour correspondre au goût du public et transformer leurs intuitions créatives en gros chèque juteux. Mais ce serait un peu faiblard, surtout concernant un rappeur qui s'est construit en ne faisant rien comme personne. 


Comme il le dit dans son dernier featuring avec Vald, "il me reste pas beaucoup de jours à vivre donc j'emmerde tous ces journalistes." Sans rancune, on continuera de l'écouter en prenant des notes.