Depuis quelques années, on le croise partout. A la sortie des concerts de rock comme d’electro, avec la bande de Fin de Siècle (qui a sorti ses premiers disques) comme celle de Tripalium (qui publie les derniers), jamais loin non plus d’un abruti hyperactif nommé Hanak. Et à chaque fois qu’on lui cause, on découvre une nouvelle facette de sa personnalité, pas forcément raccord avec sa musique de plus en plus sombre et déstructurée, inconfortable et surpuissante. Mais qui est donc Paulie Jan ? Un producteur révélé sur le tard ? Un thésard en sciences cognitives ? Un jeune papa ? Un incorrigible bavard digressif ? Un avaleur de pintes à grande vitesse ? Un asocial qui fédère ? Un aventurier qui flippe ? Avant son live samedi au festival Transient, voici, pour la première fois, quelques incroyables vérités sur l’Edward Nygma de l’electro française.
D’ailleurs, j’ai été étonné de voir que tu avais sélectionné un morceau acoustique de Hendrix dans une playlist pour le site Input Selector.
Si tu regardes vraiment cette vidéo, tu retrouves tout son héritage musical. Tu sens qu’il ne sort pas de nulle part. Je précise que c’est "Hear My Train A Coming" joué sur une douze-cordes qu’il venait d’acquérir à ce moment-là, sur laquelle il n’avait jamais joué, et qui était accordée en do, avec les cordes bien molles. Il y a une maîtrise rythmique hallucinante, une décontraction, un groove dément, et en même temps tu vois sa timidité, sans savoir si c’est joué ou non. Il a quelque chose d’hyper enfantin, alors qu’il puise dans des choses anciennes. Ça renvoie au mystère de la création. De même, Robert Johnson est passé en deux ans du type qui ne savait pas jouer et chantait de la merde, au type qui révolutionnait un genre. C’est pour ça qu’on a dit qu’il avait vendu son âme au diable. Même histoire ou presque pour Charlie Parker.
Tu disais que tu faisais de la photo. Dans quelle milieu évoluais-tu ?
J’ai d’abord fait beaucoup de photos de concert quand j’étais objecteur de conscience à La Clef, la salle de Saint-Germain- en-Laye. C’est là que j’ai un peu découvert la scène rock. Ensuite, j’ai intégré l’Ecole des Gobelins, puis je suis parti en Asie pendant des années, faire des images et des reportages. Je me suis engagé dans des trucs assez véner’, y compris des reportages de guerre. Mais ça m’a vite vacciné, c’est ultra-violent. Tu ne connais jamais ta capacité à résister à ce genre d’événement tant que tu ne l’as pas fait. J’ai notamment couvert la guerre civile à Port-au-Prince en 2004-2005. Puis je suis parti pendant deux ans en Afghanistan pour des ONG, au Tchad plus tard, des missions en France aussi. En rentrant d’Afghanistan, j’ai monté avec un pote un groupe de rap hardcore, dans lequel je jouais de la gratte, un peu en copiant Tom Morrello – désolé. Ce que je faisais était assez naze, mais je n’ai pas lâché l’affaire. Quand mon pote est parti bosser en Tunisie et que le groupe s’est arrêté, j’ai acheté un séquenceur Live et je me suis mis à produire.
Tu écoutais déjà de la musique électronique à ce moment-là ?
Oui, vachement. J’ai eu la chance, quand j’étais au lycée - entre 88 et 90 - de découvrir Warp grâce à un couple de potes. Aphex Twin, KLF, The Orb, puis Squarepusher, Plaid, Black Dog. Aussi de la house et de la techno comme Derrick May, Jeff Mills ou Anthony Shakir. Du coup, 20 ans plus tard, j’avais ces influences en tête. J’avais déjà acquis quelques machines et j’ai rencontré les mecs de Geste, un groupe de rock, qui cherchaient quelqu’un pour mixer leurs morceaux. Leur esthétique ne me parlait pas mais j’ai trouvé les compos super intéressantes, avec un vrai parti-pris. Du coup, j’ai mixé un morceau qui leur a plu, puis j’ai remixé un EP entier à ma sauce, sans trop savoir ce qu’était un remix. Geste était la première sortie de Fin de Siècle. Un jour, Dom (co-fondateur du label, ndr.) est venu écouter mes démos à la maison et m’a dit qu’il y avait de quoi faire un disque. Il a choisi les morceaux et m’a vachement poussé. Il était plus convaincu que moi, qui faisais mon truc dans mon coin, complètement hors-système. Même si j’espérais secrètement publier un jour ma musique.
Tu débutes en autodidacte, et en 4-5 ans, tu deviens producteur de ta musique et de celles des autres. C’est plutôt rapide.
Ce n’est pas moi qui ai mixé Humian EP, mon premier disque, c’est David Costa, un ingénieur du son très solide, qui a bossé à Radio France et fait beaucoup de live. J’ai beaucoup appris avec lui, mais c’était dur de lâcher prise et de le laisser faire. Je me suis dit que j’allais me démerder tout seul les prochaines fois. Sur Humian, j’ai essayé de copier les musiciens que j’aimais bien. Je pense que c’est le meilleur moyen de se faire plaisir en avançant techniquement. Après, il y a eu Trunkenstein, un 2 titres que j’ai mixé. J’ai encore beaucoup appris avec Cyril Cassier, qui s’est occupé du mastering. Puis j’ai commencé à travailler avec Sébastien Forrester/Holy Strays, qui est vachement branché musiques leftfield – même si je ne sais pas trop ce que ça veut dire. Il m’a branché sur des labels genre Pan, Triangle ou Amian, que j’écoute encore aujourd’hui. Ça m’a donné envie de sortir de mon axe Aphex Twin- Squarepusher-Boards Of Canada. Sur Trunkenstein, il y a déjà des passages techno et downbeat, un peu bruitistes et bizarres, qui préfigurent ce que j’allais faire par la suite, sur Tesla et Phase.
Est-ce que le fait de jouer live a participé à cette évolution ?
Pour Humian, j’avais seulement un ordinateur et un contrôleur et je rejouais mes morceaux en live, un peu différemment. Un objet technique comme l’ordinateur a tendance à te pousser à limiter les risques. Il faut réintroduire volontairement du danger et de l’incertitude pour que ça redevienne excitant. Au fond, je suis un mec peureux, c’est même pour ça que j’ai pris plein de risques physiques dans ma vie. A l’époque, il n’y avait pas encore beaucoup de musiciens qui faisaient du live avec des machines analogiques. J’ai mis un peu longtemps à faire la transition parce que je n’avais pas trop de fric. Mais je ne suis pas un ayatollah du hardware. Il y a des mecs qui improvisent avec leur laptop et font des concerts complètement fous et déstructurés. La vraie raison pour laquelle je continue à jouer avec des machines, c’est le rapport physique à l’instrument. Le fait de le toucher, de le sentir me met dans un état complètement différent de celui dans lequel je suis face à un écran. Il ne se passe pas les mêmes choses dans ma tête et dans mon corps. Quand je fais une session de 5 heures sur une machine, à la fin j’ai l’impression d’avoir pris de la drogue, je suis dans l’espace. Alors que passer 5 heures sur un ordinateur me broie le cerveau, ça me fait mal aux yeux et me donne envie de dormir. Mais peut-être que des musiciens ressentent le contraire.
Tesla et Phase ont été enregistré de cette manière, dans ce rapport physique aux machines ?
Complètement. Tesla est la première sortie de Tripalium. C’est Benjamin, le fondateur du label, qui m’a contacté parce qu’il avait aimé Trunkenstein. J’avais commencé la transition de l’ordinateur aux machines, j’enregistrais des bruits un peu partout avec mes micros et je cherchais un workflow efficace pour produire vite, de la manière la plus instinctive possible. Je n’étais pas prêt mais j’ai dit oui, ce qui m’a forcé à travailler vite, sans chercher à tout contrôler.
La première fois que je t’ai vu en live, c’était au Klub à Paris en 2014 et ça m’avait pété le cerveau. Avec Phase, c’est la première fois que je retrouve cette sensation sur disque. A ton avis, qu’est-ce qui te pousse à composer des morceaux toujours plus violents et déconstruits ?
C’est marrant, parce que ce live a été assez fondateur, j’y ai notamment fait des rencontres qui me permettent de jouer au Transient aujourd’hui. C’est à cette période que j’ai commencé à m’émanciper des structures traditionnelles de la techno pour aller vers des choses plus « concrètes », proches de la noise ou de la musique sérielle, tout en faisant des ponts avec la musique black dans laquelle j’ai baigné. Après, en ce qui concerne l’agressivité, j’ai un peu du mal à analyser cette évolution. Je pense que ça répond surtout au besoin de se défouler.
Quels sont tes projets récents, en cours et à venir ?
J’ai beaucoup bossé avec Leave Things, un jeune artiste hyper balèze dont j’ai mixé presque tous les disques. Pas mal avec Sébastien Forrester aussi, dont l’album va sortir en plusieurs bouts. Je collabore avec AWB, le fondateur de Taapion. Et j’ai coréalisé un disque de Roland Brival, un poète et artiste martiniquais assez fou et génial, qui a sorti une dizaine d’albums, pas mal de bouquins et a exposé au Musée d’Art Moderne. Là, je suis en train de mixer l’album du rapper Hyacinthe et je participe au prochain dDamage. J’ai aussi travaillé pour Le Turc Mécanique sur le prochain disque d’Empereur, qui devrait bientôt sortir. Ça fait déjà pas mal, en un peu plus d’un an. A venir, il y a deux disques à moi, l’un sur Fin de Siècle, en 2017 normalement, l’autre pour un nouveau projet de collection de 7 pouces lancé par Alexandre Navarro. Et puis il y a cette date fabuleuse au Transient, où je vais partager l’affiche avec Plaid, l’une de mes idoles des 90’s. Et le 24 novembre, je jouerai avec Terdjman à la Java, invités par Jeudi Minuit, pour notre duo electro-noise Dentelle… Qui justement ne fait pas dans la dentelle.
Paulie Jan sera au Transient ce week-end, toutes les infos sont sur le site du festival. Phase son dernier EP pour Tripalium se commande ici.
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