En 2013, Kanye West plaque, au frontispice de son remix de Drunk in love (Bey + Jay de nuit sur la plage, etc.) la voix d’un certain Danyèl Waro. Ayant pris connaissance de l’œuvre, celui-ci ne se reconnaît pas vraiment dans le message véhiculé par le morceau : You don’t need another lover/ ‘cause your a milf and I’m a motherfucker. Le titre utilisé ? L’ouverture incantatoire de Mandela, hommage du Réunionnais au président sud africain. Aucun rapport, sinon - peut-être - un clin d’œil de l’homme de Chicago à une de ses propres déclarations mégalo.


On laisse chercher ceux que ça intéresse. Paradoxe, les voies du buzz auront sans doute permis de diffuser mondialement le nom de ce rénovateur iconique du Maloya, musique et danse subversive des esclaves de la Réunion, longtemps interdite et sauvée de l'oubli dans les années 70, production métisse et protestataire, fierté et mélancolie des déracinés que les musiciens insulaires n'hésitent jamais à métisser encore plus, au fil du temps.

Maloya - (c) DR
Maloya (c) DR
Héritier et ami de Danyèl Waro, auteur d'un premier album en 2013, Zanmari Baré arpente en ce moment l'hexagone avec Bann Gayar, projet de Maloya "augmenté" en quelque sorte. Outre son groupe habituel (Stéphane Gaze, Mickael Talpot), il y est accompagné d'une poignée de musiciens d'ici (Seb Brun, Adrien Amey, Clément Edouard, Julien Rousseau), tous nourris d'éclectisme et habitués des labels les plus recommandables (Carton Records, Coax, etc.). L'ensemble relève haut la main le défi pas facile du mélange entre musique traditionnelle et avant-garde, compris ici comme un pari sur l'avenir où il ne s'agit surtout pas de mettre quoique ce soit au goût du jour, mais plutôt de suggérer ce que pourront être les chants de demain, à l'aune de cette "expérience tremblante du composite, du choc des cultures et de leur intrication" chère à l'écrivain et théoricien de la "créolisation" Édouard Glissant.

Autour du répertoire du chanteur, les musiciens s'attachent à sublimer la rencontre, faite d'ajouts mesurés. Et ça marche. On est très loin du copié-collé à la truelle de West ; la batterie vient s’épanouir dans les rythmes des percussions traditionnelles ("Pikèr", "Kayamb"), basses et effets numériques accusent les traits sans forcer, les cuivres soufflent comme un chœur en supplément qui dialogue efficacement avec l'énergie de la voix. 

Zanmari Baré - (c) DR
Zanmari Baré (c) DR

Rien qui ne sonne déplacé ou artificiel ; le respect que chacune des parties porte manifestement à l'autre se traduit par un son puissant, profus mais capable d'épure, qui laisse aux mélodies tout l'espace nécessaire pour s'épanouir par dessus la rumeur des percussions. De la transe, peut-être, mais surtout une très grande beauté.

L'enregistrement studio d’une trace discographique est sans doute prévu, mais pas tout de suite ; on tâchera d'ici là de saisir en live la présence des musiciens. C’est possible ce samedi, au Théâtre de Vanves, à l’occasion de la soirée de clôture du Switch Festival (qui a commencé mercredi soir et qui se poursuit ce week-end), qui met à l’honneur, pour sa première édition - qui est aussi une déclaration d'intention - l’hybridation des formes et des traditions. En regard de Bann Gayar, c’est la musique d’une autre île, Cuba, qui rencontrera l’Europe, avec le projet ¿ Que vola ?, conduit par le tromboniste Fidel Fourneyron, grand amoureux des musiques d’outre Atlantique (on signale en passant le concert, le 23 mai, de son excellent trio Un Poco Loco, à la Dynamo de Pantin, qui décape le West Side Story de Leonard Bernstein).


Switch Festival, du 16 au 20 mai, Théâtre de Vanves. 

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crédit photo de couverture : N'Krumah Lawson Daku