La presse n'a eu de cesse de convoquer un folklore rock et un peu bradé à propos de Jessica93 depuis l'éclosion de ce projet il y a 7 ans. Finalement, Geoff, aux manettes de l'entité (désormais rejoint par trois musiciens à temps plein) a sûrement plus à voir avec Kurt Cobain dans cette manière qu'ont eu public et critiques de projeter sur lui leurs fantasmes de la saleté underground que dans les disques, qui envoient à chaque fois des petits cailloux cold gaze dans nos chaussures à défaut de revival grunge rincé. Guilty Species, sorti en novembre dernier marque une évolution, plus concise, plus forte, plus pop et ouvre le champ des possibles.
T'as l'air claqué.
Oui j'ai pas de chauffage chez moi depuis plusieurs mois. Les joies d'avoir un appart à 400 euros à la Goutte d'Or. J'aurais pu couper le loyer en attendant qu'ils réparent mais j'ai zappé...
C'est dans cet appart que tu as attrapé des bed bugs?
Oui, je sais pas trop comment je les ai attrapé. Enfin j'ai un gros soupçon. J'avais donné une musique gratuitement à un artiste pour un film et il m'avait offert une toile en remerciement. Il s'est avéré que la musique était pour une pub Converse, qu'il ne me l'avait pas dit et je pense que les puces de lits étaient dans l'espèce de cadre en bois. Super opération...
Tu as réussi à écrire ce disque chez toi tout de même?
Il fallait bien, j'avais pas le choix. Maintenant on bosse à la Station dans un local qu'on partage avec Bryan Magic's Tears. J'y traine tout le temps là bas. Je fais des extras à la caisse quand j'ai besoin d'argent.
Tu disais que tu avais perdu ton intermittence?
Oui mais c'est de ma faute. Je l'ai refusé longtemps parce que je ne voulais pas que ça détermine ma façon de faire de la musique, que je me retrouve forcé à sortir un disque ou animer des ateliers. C'est mal foutu pour les artistes, je ne me voyais pas sortir une bouse pour faire mes cachets annuels. Et puis à un moment, le fonctionnement alternatif, au black ne marche plus, et quand je me suis décidé à faire les choses de manière plus classique, la tournée était finie.
Tu avais l'air un peu incertain quand je t'ai proposé cette interview quant à la question de la faire seul ou avec tes musiciens? Tu en es où sur cette question d'identité du projet?
Ce qui est sûr c'est que les morceaux de ce dernier album, je ne peux pas les jouer seul. Après Rise, je me suis dit que c'était le bon moment d'élargir le truc. J'ai moins de restrictions dans la composition. Avant j'étais hyper prisonnier de la mise en place des morceaux: la basse rentrait, la batterie, la guitare, etc... Et puis je me suis rendu compte à quel point c'était un truc de cowboy solitaire, prendre le train tout seul, arriver dans une ville que tu connais pas etc...
Tu as désormais un préposé à la boîte à rythmes?
Oui ça faisait un moment que ça me trottait dans la tête. Et puis j'aime bien le côté Hélène et les Garçons: "1,2,3,4". Ou Metal urbain (rires). En fait j'en avais ras le bol du côté "one man band". J'ai jamais aimé ce terme. Au bout d'un moment, j'avais l'impression de faire du stand up au Café de la Gare. Johnny Cash, personne dit que c'est un one man band! Et puis on me parlait tout le temps de la formule et pas des morceaux. J'avais l'impression d'être une bête de foire.
On t'a toujours mis dans une case, "super héros de l'indé", un peu comme quand Usé a sorti son disque chez Born Bad.
La paresse des gens me soule. Je sais que là tout le monde ne va me parler que de The Cure, alors que moi je suis surtout influencé par Pinback. Tout est cloisonné du côté des labels et de la presse alors que les artistes n'ont jamais été aussi libres en France. Va classifier Usé...On a cette richesse en France d'avoir des groupes qui s'en battent les couilles et qui mélangent tout. Quand j'ai commencé, je me disais, personne ne va m'écouter de toute façon autant que je me marre et que je fasse ce que je veux!
Libé t'a surnommé "grenouille de l'underground français". Ca veut dire ayatollah comme "grenouille de bénitier". Tu as l'impression d'être la caution street cred d'une partie de ton public?
Oh tu sais Teenage Menopause a sorti Catholic Spray (Born Bad aussi d'ailleurs-ndr). Côté street cred, j'en suis loin. En vrai, j'aurais jamais misé un radis sur ce projet. Jamais je n'aurais pensé en le montant que je gagnerais ma vie avec Jessica93. 7 ans plus tard, je n'ai plus d'autres groupes et je fais des interviews. Mais le DIY j'aurais toujours un pied dedans.
Un magazine disait "cet album est plus mélodique mais on ne va quand même pas utiliser le terme "pop". Comme si parler de pop était impossible pour quelqu'un qui vient de l'underground.
Les gens que je croise dans le milieu DIY ont l'impression que ce disque a été écrit pour "marcher". Le malentendu vient du fait que moi j'ai toujours eu l'impression de faire un truc super commercial depuis le début et les gens ont projeté leurs fantasmes sur moi. Quand j'ai commencé j'étais vachement lié à la Miroiterie. Et tout le monde avait ce fantasme "Julie Lescaut" du squat parisien: les chiens, les squats et la fille Lescaut qui se défonce avec des punks à l'étage (rires). Ca vient peut-être de là...
On dirait que sur ce disque tu développes une opinion consciente du monde qui t'entoure. On passe de "Who Cares?" à "Guilty Species"...
Oui complètement. J'écris toujours au second degré. "Who Cares" c'est parce que j'avais trouvé un pochon de crack dans la rue et je me suis dit "rien à battre je vais tout fumer, qui ça va faire chier..."Guilty Species" je l'avais par contre en tête avant même de commencer à écrire le disque. J'avais envie que les gens pigent plus les textes cette fois. J'ai toujours aimé cette idée que les bons morceaux avaient été écrits par des musiciens qui avaient pactisé avec le diable, tout le mythe autour de Robert Johnson. J'aime ce côté magique où tu ne sais pas comment le morceau est né.
Guilty Species de Jessica93 est disponible chez Teenage Menopause et Music fear Satan.
Le groupe fête cette sortie ce soir à la Maroquinerie à Paris.
Photo: Philippe Lévy.