Interviewer Sleaford Mods au stade actuel de leur carrière nous renvoie typiquement à la figure l'un des paradoxes de notre fonction de journaliste musical : que faire d'un musicien quand ce qu'il représente socialement et culturellement dépasse sa contribution purement artistique ? Autrement dit, peut-on (doit-on) dépasser nos préjugés ? Jason Williamson, seule voix qui s'exprime sur scène et en dehors pour le duo de lads, enfile avec aisance le costume du ronchon prolo qui abhorre le monde qui l'entoure ("modern life is rubbish", ça ne date pas d'hier). Et ce ne sont pas les passages que nous avons coupés dans l'interview qu'il nous a accordée en marge de la sortie de English Tapas qui nous feront dire le contraire : jeunesse déconnectée de la réalité, futilité des réseaux sociaux, musique pop et indie à jeter à la poubelle, le quarantenaire nous a donné ce qu'il pensait que nous étions venus chercher. Et très certainement ce qu'on peut attendre d'un musicien passé par toutes les galères du business indie avant de séduire un public large avec son rap minimal, prolo et politique.


Ce qu'on retirera de cette trentaine de minutes condensées dans le sujet de 240 secondes que vous allez regarder c'est la violence d'un paradoxe typiquement britannique : comment représenter la classe ouvrière quand soi-même on s'est investi dans la musique pour devenir millionnaire, et même au-delà dans le cas de Williamson : est-on plus à même de parler pour la jeunesse quand on accède à la reconnaissance à 45 ans et qu'on est revenu de tout ?


Le royaume de Liam Gallagher, Skepta et JG Ballard ne sera probablement pas sauvé du putain de naufrage dans lequel il s'est embarqué par Sleaford Mods, l'humour et l'acidité de ses paroles, l'âpreté et la transversalité de sa musique. Mais regarder la vérité en face en s'offrant une bonne dose de pop corn n'est certainement pas la moins bonne des façons d'attendre l'arrivée de l'Apocalypse.