Si vous êtes des habitués de la maison, vous savez que Stéphane "Domotic" Laporte fait beaucoup de choses, et que c'est toujours très bien. Que ce soit avec Centenaire, qui a su saborder son post-folk baroque au profit d'un Kraut ténébreux et érudit sans que personne (surtout pas nous) n'y trouve quelque chose à redire, avec Egyptology (dont l'autre moitié est toujours notre confrère Olivier Lamm), ou en solo - sous son nom de baptême (le superbe Fourrure Sounds est toujours notre disque synthétique préféré de 2014) et sous son alias historique - Laporte a su se rendre indispensable.
À tel point qu'on a acheté son dernier disque sans savoir de quoi il en retournait. On est rentré chez nous, on a eu la bonne surprise d'apprendre que le film dont il est question sur la pochette existe bel et bien (on en a assez bouffé des "BO de films imaginaires"), on a d'abord écouté le disque à la mauvaise vitesse (oui, bon), puis on a enfin découvert la musique qui se cachait derrière ces morceaux aux titres qui nous avaient tout de suite fait penser à Manchette ("Un homme grand, droit, sec", "Rituel dans les cascades"). Comme Tom Gagnaire, le réalisateur du Démon des hautes plaines - Manchette s'est d'ailleurs frotté en son temps au western. Publié en 1972, L'homme au boulet rouge met en regard - dans l'incipit tout au moins - les dernières heures sanglantes de la Commune de Paris et le sort des bagnards dans les plantations de coton au Texas.
"Au même instant, les Versaillais ont enfin repris l’église Saint-Christophe, à la Villette, et ils marchent dans le sang, mais Pruitt n’en sait rien, il n’en saura jamais rien, la question ne présente pour lui aucun intérêt. C’est que Pruitt est assis sur le perron d’une vaste baraque croulante, en bois, à peu près au milieu de l’État du Texas, et il est occupé à nettoyer son arme, un Remington à simple action, dont la crosse de noyer est rayée et blanchie par les chocs, la sueur, le sable". Pruitt est un homme carré et robuste, la mâchoire solide mais les yeux étroits et le sourire un peu vicieux. Tel quel, il est fermement installé dans l'existence, il nettoie soigneusement son revolver" (Jean-Patrick Manchette - Barth Jules Sussman, L'homme au boulet rouge, Gallimard, "Série Noire", 1972).
On nous dit que Le démon des Hautes Plaines, qu'on n'a pas encore eu le chance de voir (mais ça ne saurait tarder), est un "western régionaliste post-Nouvelle Vague". Si cette description ne vous donne pas, comme à nous, terriblement envie de le voir, écoutez donc ce que le synopsis a inspiré à Stéphane Laporte. "J’ai fait ça une semaine avant le tournage, dans la maison de mes parents, avec juste un synopsis très drôle en tête, deux micros un peu pourris et les instruments qui étaient là (un Rhodes, une batterie et un vieux valiha avec la moitié des cordes cassées…)" nous écrit le taiseux Domotic, qui précise : "Je partais souvent de thèmes de valiha ultra limités (genre 3 notes jouables), que j’ai ensuite harmonisés avec ma voix. Une sorte de travail de contrepoint pour enrichir ces thèmes dont j’aimais surtout les sonorités métalliques et un peu conjointes. C’était aussi l’occasion de travailler sur la notion de déclinaison, en partant d’un même pattern rythmique ou mélodique, j’ai essayé de faire plusieurs versions et d’aborder plusieurs sentiments…".
Si en 25 minutes, Stéphane Laporte réussit plusieurs exploits, le plus spectaculaire d'entre eux est sans doute celui d'arriver à nous faire oublier les mastodontes Morricone, Roubaix et Cipriani en s'appropriant le genre ultra codé de la BO western avec la distance ad hoc (pas de parodie, pas d'orthodoxie béate), comme il a su le faire avec l'électronica, la pop ou la Kosmische Musik.
La BO s'écoute en intégralité et en avant-première ci-dessous. Elle s'achète (en vinyle et en numérique) un peu partout, notamment sur la page Bandcamp de Clapping Music qui co-édite la chose avec Tona Serenad.
Le film et le disque seront présentés ce jeudi 11 juin à 19h à la Médiathèque musicale de Paris (détails sur Facebook).
Crédit photo : Karl L.
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