Si en Amérique du Nord Chester Brown est définitivement une star, le Canadien ne bénéficie étrangement pas du même traitement en Europe, où il peine à se hisser au niveau de popularité d’un Burns ou d’un Clowes, grands messieurs du comic book intime dont il est pourtant bel et bien l’égal. Ses trois derniers livres traduits par chez nous, Je ne t’ai jamais aimé, Le Petit Homme et Louis Riel avaient certes rencontré quelques faveurs chez les critiques, mais le bonhomme reste méconnu. Cela dit, tout cela pourrait changer avec son nouveau bouquin, Paying for It, une virée d’une honnêteté admirable dans le monde des prostituées et de leurs clients.
Car, oui, comme bon nombre de nos contemporains, Brown va aux putes. C’est même là tout le postulat de départ du livre. Sortant d’une relation longue et plutôt compliquée avec l’artiste Sook-Yin Lee (que vous avez sans doute vue copuler frénétiquement dans l’excellent Shortbus), Chester décide qu’il ne veut plus de petite-amie. Cependant, au bout de trois ans de célibat, il en arrive à la conclusion que, s’il ne veut toujours pas de relation amoureuse, il ne va pas pour autant faire une croix sur ses mâles attributs.
Donc, il se tourne vers les pros, les vraies, qu’il va se mettre à étudier de près – entre autres -, détaillant une à une sa vingtaine d’expériences tarifées, se demandant constamment s’il a pris assez de cash pour régler la chambre et les activités récréatives, tentant de régler l’épineuse question du pourboire (en donner ou pas ?) et confrontant en permanence son nouveau hobby aux points de vue de ses amis.
Les séquences de discussion avec ses camarades cartoonists Seth et Joe Matt sont, à ce titre, particulièrement réussies et drôles.
Se prenant au jeu, Brown devient un véritable militant de la prostitution, allant jusqu’à livrer, en toute fin du livre, un étonnant plaidoyer de 50 pages en faveur de sa dépénalisation, contrebalancé par quelques arguments opposés tirés de ses incessants débats avec ses amis, dans lequel il prône la disparition de ce qu’il appelle la “monogamie possessive” (i.e. le mariage, les relations homme/femme classiques).
Rien d’étonnant, lorsque l’on sait que Brown est un membre actif du Libertarian Party, petite formation politique canadienne prônant un désengagement de l’Etat des affaires économiques, un système social plus fort, une plus grande liberté d’expression et une extension des libertés individuelles: libéralisation des drogues et, ô surprise, de la prostitution, entre autres.
Honnête, en réfléxion permanente, l’auteur/narrateur livre là l’une de ses meilleures productions, tant sur le plan de l’écriture que sur celui du graphisme. Son trait n’a jamais été aussi sobre, presque sec, old school mais foutrement pertinent. Le grand Robert Crumb signe la préface de Paying for It, et c’est bien normal: Brown est très clairement l’un de ses meilleurs héritiers.
La version US est sortie le 3 mai, chez Drawn & Quarterly, et fait perdre tous ses moyens à la petite sphère des fanas du roman graphique, qui en parle déjà comme du livre de l’année. On attend avec impatience la VF. Quelques extrait piochés ça et là, histoire de patienter:
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