C'est le rêve de tout bedroom producer qui se respecte, ou presque: être appelé à la rescousse pour produire un vrai groupe pop à charts et à paillettes et tenter d'infiltrer en douce quelques idées étranges pour les faire entendre dans les supermarchés. Pour ce qui concerne Max Tundra, ça fait des années qu'on croise les doigts pour que l'entrée "writing and arrangement" de sa page Discogs prenne du poids, que Jay-Z ou Rihanna se pique de l'appeler sur un coup de tête et que ses chansons soient reprises en coeur dans les cours d'école du monde entier. Tout excentrique en effet qu'est ce Londonien fan de jazz rock, d'ordinateurs vintage et de mathématiques ésotériques, c'est surtout un mélodiste incroyable et une usine à bonnes idées dont on sait depuis son deuxième album au moins qu'il ferait des étincelles dans les charts.

Dans l'autre pays de l'hyperpop d'ailleurs, le producteur le plus "hot" et le plus influent du moment, Yasutaka Nakata (Capsule, Perfume, Kyary Pamyu Pamyu) n'hésite pas à le pomper dans les grandes largeurs (petit test pour ceux que ça intéresse dans le détail: cliquez d'abord ici, ensuite là, et comparez) pour vendre des palettes de CD singles aux jeunes filles en fleur et aux hikikomori. Alors Ben Jacobs derrière Daphne & Celeste, ça veut enfin dire Max Tundra à l'assaut des charts?



Pour tout vous avouer, c'est un peu plus pervers et un peu plus compliqué. Si vous avez passé votre adolescence ailleurs qu'en Angleterre ou en Nouvelle-Zélande au début des années 2000, il y a en effet de très grandes chances que vous n'ayez jamais entendu parler de Daphne & Celeste. Surtout, le principal fait d'armes de ce duo bubblegum pop auteur accidentel de deux tubes idiots et passablement anachronique est d'avoir provoqué les ires du public de Reading en l'an 2000 au point de se manger des bouteilles d'urine, des objets contondants et des paquets de viande (oui, de viande) sur le coin de la tronche.

Prestement  disparues de la circulation après leurs 15 minutes de gloire très localisée et largement occupées à taper sur les nerfs des stars indie de l'époque, Celeste Cruz et Karen DiConcetto reviennent donc en 2015 avec un single 100% produit, chapeauté et financé par Jacobs lui-même, qui semble plus préoccupé par l'idée de pervertir un fantasme de jeunesse qu'à faire rentrer du cash substantiel dans son assurance-vie -  un peu comme si Pépé Bradock décidait de relancer la carrière de Léopold Nord & Vous avec une galette de deep-house supra mentale de 25 minutes. 

A des lieux de la pochade dance pop attendue, "You and Alone" est donc une chialerie excentrique pleine de sons de synthé gras, d'angoisse et de mélancolie, bourrée à craquer de références ésotériques (le monstrueux Infinite Jest du regretté David Foster Wallace, Joni Mitchell, Skype) qui ressemble finalement moins au retour d'un duo pop justement oublié par l'histoire qu'au retour de Max Tundra lui-même, dont on attendait désespérement la suite des aventures discographiques depuis Parallax Error Beheads You, en 2008. Dont acte, en espérant du fond du coeur qu'un album suive rapidement.