Robert Henke est un artiste chercheur. Il n'a pas simplement repoussé les frontières de la techno, il lui a donné une nouvelle dimension. Sous son alias Monolake, le Berlinois s'est façonné un univers sonore dense et complexe élaboré sur sa propre matrice (on n'est pas loin d'un scénario des frères Wachowski). L'artiste envisage la programmation comme partie intégrante de son oeuvre et cette passion des technologies numériques l'a conduit à expérimenter sur de nouveaux territoires, comme la performance et l'installation. Son projet Lumière II qui sera présenté au Centre Georges Pompidou ce jeudi 19 février propose une expérience multisensorielle immersive centrée sur les possibilités d'un medium sous-estimé, le laser. On a donc fait un skype pour parler de cette performance, et on a même eu droit à un petit teasing dont on vous transmet les photos.
Investir les musées, ou d'autres formes de lieux que le club, est-ce une étape nécessaire à la techno pour évoluer ?
C'est avant tout un choix artistique. La musique techno permet à celui qui l'écoute de vivre une expérience, de pénètrer un monde différent du nôtre, de sortir de la normalité du quotidien. Si je vais voir une oeuvre bouleversante dans un musée, je vis le même type d'expérience. Ces deux univers sont très proches. J'aime aller voir des concerts dans des musées car les espaces "vides" me plaisent. Je suis très intéressé par la notion d'espace. Le club, par son architecture, sa capacité à être un lieu de sociabilité, peut avoir la même fonction qu'un musée. Mais si je joue de la musique de club dans un musée, je créé une expérience nouvelle et je touche un public différent.
De qui vous sentez-vous le plus proche : l'avant-garde des compositeurs de musique électronique (P. Schaeffer, K. Stockhausen...) ou les vétérans de la musique techno (comme Jeff Mills, qui va lui aussi réaliser une performance muséale au Louvre) ?
Je pense que les pionniers de la musique électroacoustique sont aussi importants que Kraftwerk, Tangerine Dream, Jeff Mills ou Underground Resistance. Mais il est clair que la musique de club n'aurait pas été possible sans les travaux académiques de chercheurs comme François Bayle, Iannis Xenakis, Karlheinz Stockhausen et les autres. Sans ces personnes, nous n'aurions pas eu accès à toutes les technologies d'aujourd'hui. Par rapport à la performance de Jeff Mills au Louvre, je n'ai pas d'opinion. J'aime beaucoup son travail en tant que producteur de musique, mais je n'ai vu aucune de ces performances. En revanche j'ai vu un certain nombre de lives d'artistes adaptés à des projections cinématographiques et il m'est rarement arrivé de trouver ça convaincant.
Parlons de votre installation Lumière II, pourquoi le choix d'un nom français ?
J'aurais pu la nommer "Light", mais il me semblait que le terme anglais désignait uniquement quelque chose de léger, d'aérien, d'immatériel... ce que je ne voulais pas. Et si je l'avais appelé "Licht", on aurait tout de suite pensé à l'opéra de K. Stockhausen, ce qui aurait été prétentieux de ma part. Or, je crois beaucoup à l'Europe, en tant qu'entité politique, économique et culturelle, et le français est une des langues européennes les plus importantes. Cette idée me plaisait. Et bien évidemment, la raison principale vient des frères Lumière, car mon oeuvre est très proche du cinéma.
Pouvez-vous expliquer comment vous avez défini les rapports entre image et son dans Lumière II, et en quoi cette deuxième version se distingue de la première ?
Lumière II ayant pour ambition d'être une expérience audiovisuelle, il était primordial pour moi que l'auditeur-spectateur ne puisse pas distinguer sensation auditive et visuelle. Elles doivent fusionner. Lumière II a donc été conçue dans cette optique, l'aspect sonore et visuel de l'oeuvre ont été façonnés en même temps. Le processus de création était le suivant : chaque forme créée par mes lasers de lumière devait avoir une sonorité. L'idée était de trouver la meilleure connection entre le son et la lumière. J'ai ensuite programmé mes controlleurs de manière à ce qu'une note jouée produise une forme visuelle. Tout est lié, ce qui est très important pour moi. Mais la complexité de cette programmation fait de Lumière II une performance nettement moins improvisée que la première version, qui avait des failles.
Vous avez toujours cherché à faire évoluer votre travail (vous êtes à la fois producteur techno, programmateur de softwares comme Ableton Live, et plasticien sonore), êtes-vous en quête de modernité?
Non, je ne sais même si ce que je fais peut être qualifié de moderne. Le concept d'expérience audiovisuelle date des années soixante en recherche sonore. Ce qui est nouveau en revanche, c'est que la technologie me permet davantage de précision, de vitesse, et je peux traiter énormément d'informations en même temps. Avec cette capacité technologique, je trouve intéressant de réexploiter d'anciennes visions du futur. Je m'intéresse à comment on envisageait l'avenir il y a cinquante ans, et je sélectionne des idées, des phantasmes que je réexploite dans mon travail. En cela je ne me vois donc pas comme un pionnier en quête de modernite qui serait toujours tourné vers l'avenir. Les futurs du passé ont beaucoup plus à nous dire.
Vous donnez à la technologie une place centrale dans votre travail, mais pensez-vous qu'aujourd'hui il est toujours nécessaire d'être technofile pour être producteur de techno ?
Non, tout cela est terminé. Aujourd'hui tu peux parfaitement écrire un livre sur ton ordinateur sans rien savoir sur le fonctionnement d'un ordinateur. Dans mon cas, la programmation est un choix artistique. Lumière II n'aurait jamais été possible sans que je conçoive ses propres programmes. Mais lorsque je produis de la musique techno, un grand nombre de possibilités s'offrent à moi sans que j'aie à créer le moindre programme, il existe déjà énormémement de softwares qui peuvent me satisfaire. En revanche pour le futur live de Monolake je me sens obligé de créer mes propres outils. Tout est une question de choix artistique personnel.
Plus d'informations sur le site du Centre Pompidou
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