Il y a deux types de fans de pop sur la Terre: ceux qui aiment et connaissent Graceland et les autres. Paru au coeur de l'enfer esthétique des années 80 (période caisse claire qui claque, solo de Kenny G et basse active) et dans la tourmente d'une polémique pas piquée des hannetons (rappelons que Paul Simon a enregistré à Johannesburg sans ouvrir son caquet sur l'Apartheid) "le disque fondateur de la world music moderne" a enfanté tellement de monstres et de projets crossover ignominieux qu'on a vite fait, même quand on fouille avec perversité les bas-fonds des années 80, de le ranger d'office dans la catégorie "opera non grata".
Comme s'en est rendu compte avec malice un petit groupe d'indie rock américain du nom de Vampire Weekend, Graceland est pourtant une affaire beaucoup plus dense, raffinée et gracieuse (c'est le cas de l'écrire) qu'elle en a l'air. Le temps aidant, les petites scories qui défiguraient la voix magique de Simon (les vrais cuivres produits pour ressembler à des faux, les vocalises de Linda Ronstadt, les plans de basse fretless de Bakithi Kumalo) n'en sont plus vraiment et la substantifique moelle folk des chansons n'en apparaît que plus précieuse et raffinée.
Les trop rares Âme, dont le seul et unique vrai album remonte à 2004, aiment visiblement beaucoup la musique sud-africaine; comme leur partenaire de house Henrik Schwarz, ils se sont notoirement fendus d'un remix odysséen d'Amampondo, mythique ensemble de percussions du Cap en activité depuis les années 70. Mais c'est visiblement autre chose, qui les a attirés vers Graceland et le fameux "Diamonds on the Soles of Her Shoes" qui clôt la face A du LP. La magie de l'original tenait en deux mots (douce euphorie), Frank Wiedemann et Kristian Beyer ont bossé très dur pour ne surtout pas la perturber. Cadeau du ciel, une version basse solo + voix les attendait les bras ouvert dans les bonus du gros coffret paru pour les 25 ans du disque: ajoutant seulement une boîte à rythme légère pour les danseurs flemmards et rongeant l'arrangement jusqu'à la moelle (la basse virtuose de Kumalo, toute nue contre le kick), ils excitent un tout petit peu les intensités là où elles sourdent et ça marche à merveille. Vu la vitesse à laquelle s'est propagée le rip poucrave du morceau enregistré lors du passage du duo à l'Amsterdam Dance Event cet automne, on se dit même que l'edit a le potentiel d'un magic hit à la Villalobos, quand Ricardo samplait "Baba Yaga la Sorcière" de Christian Vander ou de la musique gitane pour ramener un peu de magie et de fantômes sur le dancefloor.
En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de nos cookies afin de vous offrir une meilleure utilisation de ce site Internet.