Absolument inconnu en France, Jesse Bernstein fut l’une des figures cultes de la bouillonnante scène de Seattle au carrefour des 80′s et des 90′s. Ami de William S. Burroughs, adulé par Nirvana, dont il assurait parfois les premières parties, il fait aujourd’hui l’objet d’un docu, I Am Secretly An Important Man, signé par le réalisateur Peter Sillen, ce qui nous offre l’opportunité de causer un peu de ce drôle de bonhomme.
Né à L.A. en 1950, Steven “Jesse” Bernstein part assez mal dans la vie. Schizophrène bipolaire, abonné aux unités psys dès son adolescence, il décide de mettre toutes les chances de son côté en s’enfilant tous les psychotropes qui lui passent sous le nez, tout en s’adonnant avec assez peu de modération aux joies de la boisson.
Si ces abus en tous genres ne font rien pour arranger sa situation mentale, ils ont au moins le mérite de l’entraîner sur les voies de l’écriture qui, dès les 70′s, devient son métier.
Musicien, poète, performer extrême n’hésitant pas à piquer des gueulantes homériques si le public a le malheur de lui déplaire, il devient rapidement l’une des figures emblématiques de la scène underground de Seattle, sa ville d’adoption depuis la fin des 60′s, où l’on pouvait croiser régulièrement ses verres à triple-foyers et ses bras couverts de tatouages. Ses textes, fiévreux, complexes et pour le moins brillants, lui gagnent un fan de choix: William S. Burroughs himself.
Adoubé par le beat master en personne, qui disait de lui “Bernstein has been there and brought it back. Bernstein is a writer” (“Bernstein y est allé et l’a ramené. Bernstein est un écrivain“), il se rapproche alors de la florissante nouvelle garde musicale de Seattle, réunie autour du label Sub Pop. Et elle le lui rend bien: Kurt Cobain est l’un de ses fans absolus, il l’invite régulièrement à faire la première partie de Nirvana. Soundgarden fera de même, tout comme les différents groupes de la galaxie noise/grunge passant par Seattle.
L’une de ces apparitions, présente dans le film, est restée dans les annales. Se produisant avant un concert de Steve Albini et de son Big Black, Bernstein est pris à partie par quelques mécontents se mettant à hurler “We want music!”. Ce à quoi il réplique: “This IS music, asshole!“. Signé par Bruce Pavitt, fondateur de Sub Pop, il enregistre plusieurs 7”, puis un album, Prison, qui, comme son nom l’indique, est tiré d’une performance donnée dans un établissement pénitentiaire, à Monroe, dans l’Etat de Washington.
Mais Bernstein ne verra jamais l’album terminé. Aussi incontrôlable dans la vie que sur scène, il ne parvient pas à se débarrasser de ses vieux démons, et, malgré la reconnaissance dont il fait l’objet, il se suicide d’un coup de couteau dans la gorge, le 22 octobre 1991. C’est ce parcours étonnant que raconte I Am Secretly An Important Man, qui emprunte son titre à l’un des vers du poème le plus fameux de Bernstein, Come Out Tonight.
A mi-chemin entre la beat generation et le grunge dont il fut, selon certains, le “parrain”, Bernstein était avant tout un artiste d’une complexité et d’une profondeur rares, ressuscité grâce à la masse incroyable d’archives accumulée par Sillen, dont on connaissait déjà les talents de documentariste via Speed Racer, le très beau court-métrage qu’il avait consacré au regretté Vic Chesnutt, en 1994.
Projeté sur une poignée d’écrans américains fin décembre 2010, I Am Secretly An Important Man n’a pour le moment pas été édité en DVD. On croise les doigts, en espérant qu’il arrive jusqu’à chez nous un de ces jours.
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