A l’occasion de la sortie du troisième album de la série Nordic Flora sur Northern Electronics (le label d’Abdullah Rashim), intitulé Gore-tex City, référence un tantinet fashionista au matériau technique dont il est conseillé de se parer pour affronter le climat suédois, Jonas Rönnberg aka Varg s’est confié à The Drone sur ses aspirations, quelques-unes de ses intentions et sa vision anarcho-libertaire-rien-à-foutre d’un monde pas vraiment à son goût. Loin du traditionnel bal des premières et des news de 500 signes, on a pris le temps de décortiquer les propos un peu foutraques de ce grand nounours suédois au look néo-casual qui a choisi la techno comme langage et qui s’amuse comme un gosse légèrement tête-à-claques avec tous les codes de son époque.
D’abord, la musique. Toujours aussi mélancolique et cérémonielle, elle prend dans Gore-tex City des accents émancipés de ce qui semblait être devenu pour Jonas Rönnberg une confortable rengaine d’ambient techno analogique et tristounette. Avec les arpeggiators digitaux et l’intro auto-tunée du rappeur Yung Lean de "Red Line II (127 Sätra C)" ou la ballade R’n’B FM "Blue Line (112 Rådhuset)" avec sa compatriote AnnaMelina, Varg confirme son statut en partie acquis sur les réseaux sociaux d’outsider techno un peu farceur. Car comme il aime le rappeler, Jonas Rönnberg ne vient pas de la techno et se plaît à envoyer quelques pichenettes à la face d’un monde dans lequel il n’a jamais vraiment mis les deux pieds : "Trop souvent, les gens dans la techno prônent l’ouverture d’esprit de la culture club. Mais si tu portes une doudoune rose, que tu bois du champagne et que tu t’intéresses à la mode, les mecs deviennent très vite de gros réactionnaires". Plus concrètement, il attribue cette évolution dans sa musique à une plus grande liberté que dans ses projets précédents : "C’est vrai que c’est la première fois de ma vie que je me sens si libre. Nordic Flora est mon projet le plus long et le plus abouti, je fais tout ce que je veux parce que j’ai le temps pour le faire et qu’on me fait confiance pour ça. Si j’en ai envie, je peux faire 35 minutes de field recordings, ou bien des morceaux plus pop comme avec AnnaMelina", explique-t-il avant de poursuivre : "Je continue de jouer dans des clubs, mais ma musique doit autant à la techno qu’à d’autres courants, et il se pourrait qu’elle ressemble de moins en moins à de la techno. Sur le quatrième volume de Nordic Flora qui va sortir sur Posh Isolation, il n’y aura presque plus de kicks".
Varg - Red Line II (127 Sätra C) 4 w/ Yung Lean [NE39]
08:21
Varg et la techno, comme pour de nombreuses personnes de moins de trente ans qui en produisent (il a 27 ans), c’est en réalité une rencontre presque hasardeuse, mais aussi et surtout le fruit de circonstances malheureuses, dont cette assignation à résidence pendant plusieurs mois après s’être fait tabasser et laisser pour mort sur une voie ferrée.
"Je ne savais même pas si ce que je faisais était bien, je n’avais aucun point de comparaison puisque je n’écoutais pas cette musique". Aujourd’hui sur ses deux jambes et plus au fait du paysage électronique, cet ancien teenager graffeur ET métalleux qui assure ne pas avoir piqué son nom au créateur de
Burzum semble vouloir marquer certaines distances entre lui et "les petits blancs puristes de la musique électronique". Pour preuve, cette prise d’assaut d’une semaine
du compte Instagram de Resident Advisor en janvier dernier. Le champagne et la doudoune rose ? Ca vient de là.
"Mes posts ont été pris au premier degré par beaucoup de gens, souvent des mecs qui ne veulent voir que des photos de synthés modulaires. Il n’y a rien de plus ennuyeux… Et ce n’est pas parce que je poste une photo de Moët & Chandon que j’en bois tous les jours au petit-déjeuner, calmez-vous." Prêt à toutes les provocations y compris celle de s’inventer un personnage de thug nordique ultra-matérialiste pour ne pas être confondu avec ces nerds petit-bourgeois qu’il semble exécrer ? Quand on lui demande, Varg dédramatise :
"En réalité c’est une attitude beaucoup plus positive que ça. C’est juste pour dire qu’on fait ce qu’on veut et qu’on n’en a rien à foutre" et d’enchérir : "C’est politique en fait. On veut tout, pour tout le monde et tout de suite, sans frontières. Je n’exprime rien d’autre."
Varg: Champagne Ceremonies
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Derrière ce goût prononcé pour les slogans libertaires un brin candides, mais aussi ces tatouages "ACAB" ou "Fuck Borders" et cet amour pour la pyrotechnie Do It Yourself (regardez donc le clip de "Champagne Ceremonies"), se trace en filigrane le parcours contre-culturel d’un artiste qui a été, et continue d’être, le fidèle de plusieurs chapelles. Du black metal au hooliganisme antifa (on vous parlait plus haut du look casual) en passant par le graffiti, Jonas Rönnberg se construit une cohérence en jonglant avec toutes ces petites bulles de sous-culture qu’il interconnecte presque instinctivement et sans nostalgie aucune.
"Je ne pense pas qu’il y ait eu un âge d’or qu’on ne revivra plus. Par exemple, j’adore le rap actuel, je n’ai pas de problème avec ça. En plus de ça, je ne suis pas un défenseur du tout-analogique, ça m’ennuie", plante-t-il,
"Sur Nordic Flora
, il y a beaucoup de parties faites sur des applications pour Ipad". On ne saurait déterminer ce qui relève plus de la posture, d’une touchante spontanéité post-adolescente, de l’humour ou des trois à la fois dans la conduite de Varg, laquelle comprend entre autres s’afficher sur les réseaux sociaux avec des fringues de caillera du milieu des années 2000, opposer le fétichisme de l’iPad Pro au culte du synthé vintage et lâcher des "Fuck the world" à tout-va. Le mystère demeure et ceux que le personnage agaçait déjà avant la lecture de cet article n’en sortiront pas apaisés. Il faut pourtant noter que Jonas Rönnberg, entre contradictions et facéties, commence à se façonner une Oeuvre qui ne s’interdit rien (cf. les featurings dont il est question plus haut) tout en étant vouée à une certaine constance, en partie due, comme il l’avoue lui-même, à une manière précise de procéder : "Je ne jamme jamais, je déteste ça. Je ne fais pas de musique pour le plaisir d’en faire. J’arrive toujours au studio avec une idée, souvent en lien avec un lieu ou un détail précis de ma vie. C’est certainement pour cela que ma musique reste toujours assez sombre".
Produit de son époque par sa versatilité et la construction virtuelle de son image, singulier par son talent et son hyperactivité (une douzaine de longs formats en à peine plus de quatre ans), et presque arrogant dans sa volonté de redistribuer les cartes des musiques électroniques souterraines, Jonas Rönnberg, au bout du compte, s’inscrit très bien dans ce qu’il ne serait pas totalement hors de propos d’appeler une scène, formée en majorité par les acteurs réunis sous la double-bannière scandinave Posh Isolation/Northern Electronics. Même s’il affirme n’avoir pour philosophie que ces trois mots : "zero fucks given", Varg a tout du control freak sûr de ses exigences. Il monte d’ailleurs son propre label dont la première sortie sera un maxi du rappeur le plus emo d’Europe du Nord, Yung Lean : "Le but, c’est de sortir tout ce que je veux, sans considérations de genres, parce qu’on n’en a plus rien à foutre de ça"… Comme si on n’avait pas encore compris.
Varg jouera en live le 14 avril au Rex pour la soirée Musing aux côtés de Low Jack, Will Bankhead et Coni. On vous fait gagner des places
ici.