Vêtu d’un blue jeans, d’une chemise canadienne et d’une parka de trappeur, baskets blanches aux pieds, John Wiese arbore un air nonchalant. Responsable d’un des disques les plus intrigants de ce début d’année, il fut auparavant responsable d’attaques soniques déflagrantes au sein de Sissy Spacek comme sur ses disques solos plus anciens, collaborateur éphémère de Sunn O))) ou Matmos, plus régulièrement avec l’internationale bruitiste dont il est un des principaux animateurs, notamment par l’intermédiaire de son label Helicopter.
Deviate From Balance, disponible sur Gilgongo records depuis mars, contient pourtant des enregistrements datant de plus de dix années et certains titres de sa noise abrasive passée (pour combien de temps ?) contiennent en germe l’esprit systémique des compositions écrites à l’attention de ses récentes incursions dans le monde de l’improvisation libre. Alors, John Wiese est-il la proie d’une certaine normalisation ou ce nouvel exercice de style ne fait-il que prolonger une démarche entamée depuis son passage en école d’art ? Comme il était de passage à l'Haus der elektronischen Künste de Bâle et que nous aussi, on s'est dit qu'il ne serait pas idiot de lui poser directement la question.
Préférez-vous que le journalisme parle de vous comme d’un musicien, un compositeur, un artiste sonore, un artiste ?
Je m’accorde à toutes ces catégories exceptée la première ! Je ne me définis vraiment pas comme musicien. Je suis très prudent à l’égard du journalisme qui ne reste qu’une interprétation de l’art souvent posée comme principe, ce qui est consternant. Et je n’ai jamais pensé ce que je faisais comme de la musique ou comme de la noise rentrant dans une catégorie journalistique. Si je m'éparpille entre les genres, les installations, les partitions, les sets solos ou les collaborations, tout coule du même endroit, de la même intention, qui n’a rien à voir avec tous ces présupposés. Il n’y a aucune raison de devoir penser en ces termes.
Est-ce que certains signes, notamment musicaux, vous ont mené à cette pratique sonore ?
Quand j'étais gosse, je faisais déjà des collages sonores très bruts et la toute première bande que j’ai réalisée a été une réaction à l’enthousiasme que j’ai ressenti en écoutant les premiers groupes de death metal de Floride au début des années 1990. Lorsque Deicide, Obituary ou Suffocation ont sorti leurs premiers disques j’ai eu la chance de les découvrir très rapidement... Leur son était tellement démentiel, j’y ai tout de suite adhéré. J’ai alors eu l’opportunité d’enregistrer sur un quatre pistes d’un copain un mix de tout le bruit confus que j'avais dans la tête. Mon but était d'imiter le death metal à ma manière. Je n'avais absolument pas conscience que d’autres personnes travaillaient déjà dans ce sens. Ce n’est que bien plus tard que j’ai découvert les travaux bruitistes.
Écoutez-vous encore du death metal aujourd’hui ?
Oh oui, et cette première période historique reste mon genre de metal favori. J’écoute aussi des groupes plus récents mais ils doivent jouer vite et être très techniques. Je déteste les compositions lentes.
En parlant des autres formations noise, quelle a été vos connections avec la scène de Los Angeles où vous résidez actuellement, plus particulièrement les vétérans de cette scène : Smegma, The Haters et GX Jupiter-Larsen ou la Los Angeles Free Music Society dont chaque soirée est un événement en soi et où il est toujours recommandé de se rendre ?
En fait, j’ai été en contact avec certains d’entre eux avant mon installation en Californie qui date du début des années 2000. Par exemple, j’ai « rencontré » Tom Recchion de la Los Angeles Free Music Society par correspondance lorsque nous avons commencé à nous envoyer nos productions respectives. J’ai alors découvert un personnage hors du commun, utilisant les enveloppes de Capitol/EMI où il travaillait en détournant les logos à son profit pour m’envoyer un tas de bandes plus étranges les unes que les autres. C’était une époque très cool, très immature aussi.
John Wiese - Seven of Wands (Full Album)
50:38
Justement, quel est votre sentiment sur le fait que le mot « noise » est en passe de devenir une marque déposée servant à qualifier des genres musicaux très disparates n’ayant qu’un rapport très éloigné, sinon aucun, avec ses origines ? Cela devait bien arriver un jour et ce n’est pas quelque chose dont nous devrions trop nous préoccuper. La
noise est un mouvement qui connaît ses flux et reflux, qui a connu des hauts et des bas dans chaque décennie depuis les années 1980. Et la catégorie elle-même est très mouvante, on trouve de tout même dans son acceptation la plus stricte.
Certaines recensions de votre dernier album parlent de vous comme d’un compositeur en voie de « normalisation », vous éloignant de vos premiers travaux plus abrasifs ou improvisés. Comment vivez vous cette évolution de votre côté?C’est un peu grotesque. Tous mes disques sont très composés, et aucuns ne laissent une part au hasard. Ça me rappelle une conversation récente que j’ai eu avec un ami compositeur, musicien professionnel et diplômé universitaire, qui confessait avoir du mal à écrire une partition à partir de ces motifs sur lesquels il travaillait en boucle, sans s'enregistrer. Je lui ai alors suggéré de le faire pour pouvoir travailler plus aisément avec son matériau, pourquoi pas en l'éditant, en le modifiant, en le mixant. Il était très mal à l’aise avec cette méthode, me rétorquant qu’il lui était impossible de se sentir créateur et compositeur d'une musique qu’il ne pouvait pas jouer. Mon point de vue est diamétralement opposé. Si je me contente de jouer quelque chose sans le manipuler, j'ai le sentiment de n’avoir rien fait. C'est par l'assemblage, la superposition, le mixage, la mise en relation et le collage que je deviens compositeur... Autrement je me sens déconfit… Je suppose que ce doit être la différence de point de vue entre un musicien et un non-musicien ou celui d’un compositeur, je n’en suis pas sûr ; dans tous les cas, de quelqu’un qui travaille à partir d’un matériau brut pour aller vers, disons, la post production. La seule différence entre mon nouveau disque et les anciens réside dans le fait que j'ai utilisé des partitions à l’attention d’ensembles musicaux, où j’ai indiqué un ensemble de directions à suivre. Il existe donc un bout de papier de ma composition, ce qui n'était pas le cas de mes disques anciens... Mais est-ce que ça suffit à exclure ce dernier du champ de la composition ?
Sissy Spacek Tour 2011
10:33
Puisqu'on parle de post production et de montage... Quelles sont - les relations décelables entre votre travail sur le son et celui sur la vidéo ?
Il existe de nombreux points communs, mais la vidéo m’a surtout permis de créer des pièces sonores d’un genre différent. Il s’agit de la même base brute exprimée d’une tout autre manière. Par exemple, j’ai manipulé une vidéo au cours d’une tournée avec Sissy Spacek où j’ai volontairement coupé le son pour dégager une cadence rythmique qui ne soit que visuelle. J'avais pour intention initiale de créer une bande-son a posteriori mais lorsque j'ai terminé le montage vidéo, le résultat était tellement séduisant que j’ai fini par me persuader de ne pas le faire. À partir de cet instant, j’ai réalisé que la vidéo, comme le son, fonctionne comme une frise chronologique, avec ses techniques, travellings et ellipses, ou ses attributs plastiques, toutes ces images et formes, abstraites ou peignant des situations, exactement tout ce que je retrouve avec mes collages audio, et que notre imagination comme notre fonction cognitive n’a pas besoin d’allier les deux, vidéo et son, pour analyser ce qui est en train de se produire. Dans cette vidéo, voir des personnes hurler et jouer de manière très physique suffit pour que le spectateur compose sa partition sonore. Le cinéma repose sur l’image en mouvement et n’a vraiment pas besoin de son. Il fonctionne comme média indépendant. D’autres vidéos montrent à ce propos, de manière très didactique, comment certains artistes et groupes travaillent à l’élaboration de leurs compositions sonores ; donc faire le choix de ne pas y intégrer du son permet au spectateur de rentrer dans ce processus de travail sans être guidé par une bande-son. Il doit l’élaborer lui-même et c’est ce que j’ai cherché à faire : rendre image et son autonome au sein d’un seul procédé créatif.