C’est à quelques pas du Père Lachaise, le jour de l’équinoxe printanier, que Fabrice et Nicolas Laureau nous convient. Dans un troquet dont le nom fleure bon la gentiane et la truffade, la fratrie de NLF3 présente Waves of Black & White. Pas de chance pour Fabrice Laureau, le serveur croit le reconnaître ; après plusieurs minutes à citer tous les bars de l’Est parisien pour fixer précisément ce vaporeux souvenir, d’après lui vieux de trente ans, il nomme avec conviction un comptoir de la rue Charonne. Dubitatif mais diplomate, le bassiste de NLF3 abdique : “Ah oui, ça doit être ça.” Quelques dizaines de minutes plus tard, il niera : “Il se trompe, ce n’est pas moi. Ce n’est pas possible. Trente ans… Je n’habitais même pas dans le quartier.” Lequel des deux se trompe, ment ou occulte ? Faute de temps, l’investigation est repoussée à plus tard pour décrypter une autre vérité, celle qui concerne ce nouvel album.
Une rupture dans la fabrication
"On a accentué la rupture dans la façon d'écrire. Pink Renaissance fut écrit de manière assez classique : on part toujours d'improvisations puis on fige des moments pour les travailler en morceaux structurés. Sur "Waves", on a tout de suite enregistré, au moment où les idées étaient en cours de formation. Pour nous, c'était nouveau. Pink Renaissance était un matériau plus figé.” souligne Nicolas Laureau. “C'était un disque davantage produit, dans le sens où on a cherché plus de sophistications, dans la polyrythmie, dans sa richesse.” précise Fabrice, au sujet de Pink Renaissance. “Waves of Black & White est volontairement plus brut avec le souhait qu'il reste ainsi. On a gardé l'âme des premiers jets.”
C’est ainsi qu’ils expliquent ne pas avoir écrit pour ce nouvel album : il est le fruit de quelques jours d’expérimentation dans l’isolement et la quiétude, loin des tumultes parisiens. “On part à la campagne car on n'aime plus vraiment s'enfermer dans un studio avec une pression financière qui, de fait, biaise le processus. On n'aime plus ça d'autant que, d'un point de vue matériel, nous sommes totalement autonomes."
Cette volonté de fabrication artisanale se conjugue d’ailleurs avec un besoin revendiqué de renouer avec la nature. Face à l’environnement d’une métropole où la notion de silence, même nocturne, n’est que chimère, où la dimension humaine s’étiole dans les nuages du virtuel, NLF3 confronte d’autres horizons. “Waves of Black & White est un disque sur la réaction, sur l’adaptation, sur la vigilance” formule Fabrice Laureau. “Personnellement, j'ai envie d'épure et de sobriété. J'ai un peu de mal avec le milieu urbain, la foule, la pose, le "milieu" [ndlr : sans doute, l’industrie musicale] aussi. Je commence à avoir du mal avec tout ça. Il n'y a pas plus inspirant pour moi que de me retrouver face aux éléments naturels et je fais beaucoup de photos. Les photos de l’album, je les ai faites.”
Skate et vadrouille
Depuis sa genèse, la dimension picturale de NLF3 constitue d’ailleurs l’une de ses plus belles richesses. Si, contrairement à ce qui a pu introduire les colonnes chez d’autres confrères, Waves of Black & White ne résulte aucunement d’un travail sur le “Golem” de Paul Wegener, cet album se démarque (comme tous ses prédécesseurs) par sa faculté à s’harmoniser avec l’errance. “C'est l'envie qu'on nourrissait suite à Prohibition.” confirme Fabrice. “Après des années à crier, nous voulions que NLF soit un projet avec de la liberté, en mesure de transporter les gens, où la musique soit audible dans plein de situations possibles. En courant, en faisant du vélo, en faisant du skate, en projetant un film, en se promenant.” Aussi hasardeuse soit la référence, Sokal avait invité son inspecteur dans un pays nommé “L’Amerzone”, dénomination naïvement construite par “amer” et “zone”. Entre les montagnes hostiles et les jungles vénéneuses, un protagoniste à la dérive. Or, que ce soit au moment de son enregistrement ou des clichés utilisés pour l’illustrer, Waves of Black & White semble avoir été conçu sans filet. “C'est un disque à part dans notre discographie pour deux raisons. D'une part, c'est notre dernier disque.” explique Nicolas. “Enfin, le dernier sorti !.” précise Fabrice, prudent. “Oui mais bon, on ne sait jamais si on en fera d'autres.” reprend l’alter ego de Don Niño. “Ensuite, c'est le premier sur lequel on utilise la photographie pour illustrer l'image mentale que l'on peut se faire de ces morceaux. Je le décris comme un album assez philosophique parce que le pouvoir de pénétration dont est dotée la photo se retrouve aussi dans ces morceaux, constitués de strates assez permanentes, à la différence de ceux d'auparavant, peut-être plus chaloupés, moins linéaires.”
“Le paradoxe, c'est que la décision prise était de ne pas faire dans l'épure. Pink Renaissance présentait un aspect "ligne claire" lié à l'écriture mais pour celui-ci, c'est brut, sans épure et pourtant cela évoque un message à mon sens plus léger. C'est personnel.” confie Nicolas. “Moi, je le trouve plus dur. Après, la lumière évoquée par Nicolas ne signifie pas forcément de la joie non plus. Mais je le trouve plus sombre.” glisse au contraire le producteur de F.Lor. “C'était Julien Bécourt (journaliste, auteur des bios de NLF3) qui avait écrit : "Un nouveau départ ?" reprend Nicolas. “Je trouvais ça malin de sa part car il avait vu qu'on essayait d'opérer une forme de décrochage... tout en restant cohérent : on reconnaît notre son, on a un peu calmé les voix, c'est vrai.”
Au fil de la discussion, des contradictions et autres digressions, un point commun apparaît pour les deux Laureau : NLF3 représente pour eux une bouffée d’air entre tous leurs projets. Si l’on pouvait penser qu’après des décennies de jeu en commun, avec Prohibition ou ce projet, leurs aventures personnelles avec Don Niño ou F.Lor constituaient leur respiration, c’est l’inverse qui prévaut. “Je viens aux enregistrements de NLF3 avec beaucoup de candeur, beaucoup de fraîcheur. Généralement, je mets au point une configuration avec un vieux clavier, une guitare, un ordi et je vais faire avec ça, je vais créer sur le moment alors qu'avec Don Niño, je prends beaucoup de temps pour écrire mes chansons, c'est très différent.” Et Fabrice de souligner la facilité et le caractère ludique qui prédominent au moment de s’immerger dans NLF3. “Il y a un truc qui est vrai, c'est que NLF3 est basé sur la liberté, vraiment. On n'a pas de contrainte. On ne s'est jamais dit qu'il fallait partir dans telle direction au prochain disque, avec de plan, etc…” Une liberté à même de nous priver d’un disque puisque, initialement, ces sessions d’enregistrement n’étaient pas destinées au pressage. Heureusement, sortez les violons, le temps a fait son oeuvre. “On n'avait pas vraiment décidé que ce serait un album.” confie Nicolas. “On est parti faire une expérience, enregistrer et finalement, une fois que l'on a pris un peu de recul, assez tardivement, on a décidé que ce matériau était assez éloquent pour que l'on en fasse un disque. Waves of Black & White a aussi cette valeur d'instantané.”
Waves of Black & White est disponible sur le Bandcamp de Prohibited Records.
Crédit photo : Fred Lanternier
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