Combien sont-ils, dans le monde contemporain, à être susceptible de faire à la fois la couv' de Mojo et de The Wire? Il semblerait que David Thomas n'ait eu jusqu'ici que les honneurs de la une du deuxième, mais vous voyez où je veux en venir: le gros barde de Cleveland est bien sûr l'un des rares specimens de son (vieil) âge à jouer à la fois dans la cour des pionniers institutionnels du rock et dans la fange des empêcheurs de tourner en rond. A ses côtés, je ne vois guère que Mark E. Smith ou ce bon vieux Genesis pour en même temps exciter les tenanciers de Wock'n'Woll Hall of Fame et faire grincer les dents des adeptes du rock'n'roll qui ne doute de rien et, euh, de vos parents.
Plus têtu, plus persistant que la plupart de ses contemporains militants du punk-qu'a-lu-des-livres, son Pere Ubu de groupe a traversé les années 80 et 90 sans tenir un line-up plus de six mois mais sans jamais rien perdre de son identité de perpétuel déplacé (tout ça en filant du boulot à tous les art-rockers 15000 kilomètres à la ronde, que ce soit Lindsay Cooper et Chris Cutler de Henry Cow, Mayo Thompson de The Red Krayola, Richard Thompson, Anton Fier des Feelies ou même, prestement; Frank Black en 1993, sur Story of My Life).
Autant vous dire donc qu'on se fiche pas mal de savoir que Thomas mis à part, aucun membre originel du line-up original du Pere Ubu de 1976 n'a participé à ce dix-septième album. Mieux que ça, Lady from Shanghai ose boucler la boucle avec The Modern Dance, premier opus du groupe paru il y a 35 ans, en se proposant de "réparer" la dance music en libérant le danseur du joug hégémonique de la "danse". Et la tentative est très sérieuse. De la même manière (insondable) que The Modern Dance cachait une reprise de Doris Day dans "The Sentimental Journey', "Thanks", qui ouvre l'album, enferme une relecture folle du "Ring My Bell" d'Anita Ward, énorme tube du disco tardif (merci à Louis d'avoir percuté la référence).
En d'autres termes et au-delà du sous-texte très compliquée de l'entreprise (édité à part dans Chinese Whispers, une petite bible de 100 pages qu'on ne devrait pas être des milliers à s'infliger), on a affaire à une vraie petite orgie de post-punk beefheartien en diable et pas poseuse pour un dollar, lézardée de monceaux de monceaux et de bruits aliens mais totalement dansable par le commun des pogoteurs en Cheap Monday. Père de tous les groupes contemporains qui souffrent mais qui savent en rire (Oxbow, Liars), Pere Ubu a quarante ans dans deux ans mais son nouveau disque est diablement pertinent.
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