Parlons un peu, parlons de Pancrace, dont l’album est sorti en mai dernier chez Penultimate Press. Le groupe (ils sont cinq) tire son nom de l’église qui a accueilli ses premiers pas : l’église Saint Pancrace, en Alsace. Fun fact : nos héros ambitionnent, à leurs débuts, d'improviser avec - et autour - de l’orgue de la paroisse en se passant de toute foi catholique, et de profiter ainsi gratis des douceurs acoustiques de la réverbération du Saint lieu…


La musique est très belle. Il nous appartient d'ajouter, sans gâcher la surprise, deux mots sur leur approche presque phénomologique du son. Détournés, contournés, retournés, chantournés, les instruments (violon, cornemuse, piano, appeaux et autres, rassemblés autour de l'orgue) sont ici saisis et exploités hors tradition, pour leurs seules propriétés physiques et promesses mécaniques. C’est la technique (comme savoir-faire technologique) qui compte, l’artisanat du luthier. Dans cette plongée collective au cœur de la fabrique du son, le frottement des cordes, le cliquetis des clefs et toutes sortes d’impuretés micro-tonales acquièrent un statut d'évènement majeur, capable de changer le cours des choses.


Le cœur du son, les bourdons qui fluctuent pour hypnotiser…ils ne sont pas les premiers à s’y jeter : Scelsi, Grisey, Radulescu… autant de compositeurs tourmentés par la question du sacré, du divin. Le groupe, à l’inverse, revendique un programme de désacralisation/ sécularisation, qui le conduit à tenter de « défaire l’orgue de sa relation de dépendance à l’église {…} pour l’extirper de son immobilité sacrée ».


De la matière, du tangible et rien d’autre… beau programme ; il est permis d'imaginer le groupe (plus proche du Ligeti d’Harmonie, avec son orgue essoufflé, que du Messiaen de la Nativité… ou des Corps Glorieux), s'enfonçant dans les ténèbres pour arracher, comme Dante sa Béatrice, un orgue d’église Stiehr-Mockers de 1848 aux survivances obscurantistes griffues, aux traces de religiosité accumulées ça et là comme une couche poussière revêche…


Que pense le bon peuple de ce matérialisme joueur ? Pancrace s'est muni récemment d’un tout nouvel orgue (transportable) et le festival Sonic Protest, on les reconnaît bien là, les accueille jeudi soir, à Vanves. Intrigué par l'idée d'une musique de transe dénuée, en apparence, de tout appétit transcendant, un ami se demande : peut-on vraiment hypnotiser les foules sans désigner l’au-delà ? On verra, l’ami, on verra ça bientôt !


PANCRACE se produira jeudi soir au Théâtre de Vanves dans le cadre de Sonic Protest avec Davide Tidoni et Trevor Wishart.