Steve Lacy, c'est une toute petite fenêtre qui s'ouvre sur la pop music contemporaine. Une petite chose de rien du tout, mais qui, grâce à de ténus interstices, arrive à se faufiler dans le flux continuel des écoutes de disques inattentives et à s'y loger. Par son âge, son humilité, sa fraicheur, mais aussi la fragilité de ses compositions, la musique du (très) jeune Steve Lacy nous rappelle, dans un tout autre genre, ce qu'on a pu ressentir la première fois qu'on a écouté King Krule il y a quelques années. Soit une collection de morceaux chancelants dont la candeur joue pour beaucoup dans ce qu'elle nous offre d'office en capital sympathie.
C'est par ses incertitudes donc, mais aussi son évidence (ce qui est paradoxal, certes), que sa musique nous frappe d'abord. Lorsqu'on écoute le morceau soul à guitares thats no fun, délivré sur son compte Soundcloud il y a près de deux ans comme on lâchait des morceaux pas finis sur Myspace autrefois, on se dit tout de suite que le talent brut qu'on entend n'a pas besoin d'éclore (et encore moins de maturer, ce vilain concept). Et lorsqu'on écoute sa première vraie collection de chansons sortie il y a une semaine sous le nom de Steve Lacy's Demos, on se dit justement que la musique de Steve Lacy devrait rester à l'état de démos pour toujours, inachevée et pas totalement formée.
Il est particulièrement compliqué aujourd'hui, dans notre époque littéralement obsédée par le grain lo-fi, de différencier un cadre esthétique élaboré d'une vraie esquisse brute jetée pêle-mêle à nos oreilles avides d'un peu de danger. Il y a en tout cas quelque chose d'assez surprenant chez Steve Lacy de mettre en 2017 à ce point les "vrais" instruments en avant dans le mix, de même que de toujours sembler vouloir se retirer au moment où les morceaux pourraient former ne serait-ce que l'ossature d'un hit. Prenons "Some", tube éternel en puissance qui ne passe même pas la barre des deux minutes et qui semble presque s'excuser d'être là. Cette fausse modestie ne nous empêche pas de penser, bien au contraire, que l'auteur de ce r'n'b faussement vintage a en fait pleinement conscience des cartes qu'il a en mains, et qu'il s'apprête (pour très bientôt, on en est pleinement convaincu) à nous livrer la meilleure came sur le marché. Ce faisant, il nous fait miroiter avec un petit sourire en coin, nous regarde du coin de l'œil en attendant qu'on se fasse complice de son petit manège. De la candeur à la malice, il n'y a qu'un pas, et on est prêt à parier que Steve Lacy l'a franchi depuis longtemps.
Pur produit de la clique post-r'n'b post Odd Future The Internet (dont la date à Paris le 4 avril au Trabendo est d'ores et déjà complète), Steve Lacy s'en détache cependant. Et à un si jeune âge, c'est déjà un signe de démarcation de miser, contrairement à ses petits camarades de groupe (Syd Tha Kid en tête), non pas sur une supposée liquéfaction des codes r'n'b, mais de jouer à fond la carte du vintage pour mieux la subvertir de l'intérieur. Gageons que dans les prochains mois, ses petits pas jazzy et ses mélopées lo-fi auront gagné la mise.
Le maxi Steve Lacy's Demos est sorti la semaine dernière. Il s'écoute en entier ci-dessous :
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