En termes de synth pop sombre et mélodieuse, le duo Kim Ki O se pose un peu là. Injustement boudées, les deux musiciennes continuent pourtant de sortir régulièrement des albums digestes et modernes, deux qualités qui font défaut à un paquet de projets affiliés aux musiques sombres, dark et bidule-wave. Preuve supplémentaire avec le dernier né, "Zan", chanté en turc comme ses prédécesseurs, qui ne révolutionne pas l'univers du groupe mais qui regroupe assez de moments plaisants et de climax synthétiques pour qu'on ait pris le temps de poser quelques questions par mail à ses créatrices. 


En chantant en turc, n'avez vous pas peur que votre message soit compris par peu de monde ? Passe-t-il au second plan pour laisser sa place à la musique ?


Ekin : l'idée de chanter en turc est venue très tôt quand on a monté le groupe en 2006. C'était une sorte de challenge artistique qu'on se fixait. A ce moment là tout le monde dans la scène "indie" locale chantait en anglais. Le turc était méprisé et nous on trouvait ça d'autant plus super. Le message qui réside dans notre musique ne se lit pas au premier degré. C'est Kim Ki O comme projet qui est le message. 

Berna : J'aime l'idée que le message existe dans nos paroles et notre musique mais qu'il n'est pas forcément compréhensible par tous. Mais si ça t'intéresse, tu peux le découvrir. 


J'ai lu une histoire assez folle: vous auriez chanté en turc le morceau de la BO de Flashdance "What A Feeling" dans les hauts parleurs d'une mosquée après qu'un Imam ait accidentellement laissé le micro ouvert. Alors plutôt que de savoir si c'est vrai, je me demandais si vous étiez fascinées par la culture pop?


Ekin : J'ai toujours été fascinée par la pop culture, pas juste en musique mais sous toutes ses coutures. Je pensais plus jeune que c'était surtout une forme de nostalgie mais c'est plus fort que ça en fait. La pop ne devrait pas être juste une zone confortable dans notre mémoire où on vient se lover. Pour reprendre cette anecdote, ce que je trouve fascinant ce n'est pas d'avoir repris en turc ce standard pop mais de l'avoir chanté sur le système son d'une mosquée. C'est cette confrontation qui est géniale.


Zan est un disque concept autour du thème de l'échec, vous pouvez nous en dire plus?


Ekin : Zan ( "suspicion" en turc) explore des échecs à de multiples niveaux que cela soit au niveau local en Turquie ou les défaites de la politique mondiale. On l'a conçu sur 4 ans en écrivant de multiples bribes et démos avant de tenter d'en faire de vrais morceaux. Ca a été un processus beaucoup plus complexe que sur nos premiers disques.  On s'est nous aussi confronté à la notion d'échec, mais cela c'est avéré motivant au final.

kim ki o - Sanki Hiç Durmadı

05:34

Pouvez nous décrire la situation en Turquie et à Istanbul plus précisément pour les musiciennes ? 


Ekin : Istanbul n'est plus une ville aussi attractive qu'à la fin des années 2000 mais la scène locale est très vivace, il y a toujours de nouveaux groupes et pas mal de concerts. On ne s'en sort pas si mal. 


Ce qui s'est passé à Hollywood vous a-t-il interpellé ?


Ekin : J'ai l'impression que la culture mainstream vient juste de réaliser qu'il y avait des artistes femmes et LGBT qui existaient. D'ailleurs appeler ce qui s'est passé un scandale est très problématique: c'est la réalité qui est très choquante. Se rendre compte n'est pas suffisant. Certes je suis heureuse que les hommes incriminés perdent leurs emplois mais comment la société va-t-elle réagir ? Va-t-on finalement faire tomber ce consensus qui a été capable de fermer les yeux sur les agissements de Weinstein et des gens comme lui ? Je n'en sais rien. Je suis à la fois heureuse de voir que des femmes prennent la parole mais je sais qu'il y a de nombreuses voix qui se taisent. 

 

"rekabet istemiyorum" veut dire "I don't want no competition". Cet titre a-t-il valeur de message féministe ?


Berna : Ce titre a été trouvé pour décrire un état d'esprit qui encapsule des contextes sociaux très variés et qui va au delà du féminisme. Mais nous sommes féministes ça c'est sûr !

Ekin : Cet état d'esprit dont parle Berna renferme l'idée de se confronter aux gens remplis d'ambitions et de les défier. 


Comment voyez vous le futur du projet ?


Berna : On aimerait pouvoir quitter nos jobs mais malheureusement on ne peut pas se le permettre. 

Ekin : on veut toucher plus de gens mais en même temps pour ça, il faut jouer le jeu de la communication. On est prêtes à le faire mais on ne veut surtout pas perdre notre indépendance en route. 


ZAN de Kim Ki O est sorti le 24 novembre 2017 chez LENTONIA.