Alors que je prépare déjà une playlist pour le minivan du retour, c'est l’heure du premier bilan. Au rang des regrets, notammentn il y a les concerts manqués, à cause des sollicitations multiples et parallèles. D’après ce que j’entends un peu trop souvent, j’aurais du voir Red Mass, Oktoplut (de l’avis général, cousins des Solids repérés par Clément Mathon dans ce même festival) et surtout The Posterz dont le hip-hop sophistiqué a mis tout le monde d’accord -tous ceux qui y étaient en tout cas. Un regret de fond ensuite, pour un festival qui se veut défricheur: même chez les plus tarés, on aura peu voire pas découvert ici de nouvelles formes, chez les artistes électro comme chez les tenants du (très majoritaire) rock à guitares. On a un peu séché la scène chanson-folk, bon. Mais ces considérations viennent en arpentant les lieux qui se vident ; reste aussi l’image d’un festival d’une grande fraîcheur, et un cadre aussi étonnant que le coq-à-l’âne de la programmation. Récapitulons plutôt le meilleur, à notre humble avis, de celle-ci: le punk psyché des Deux Pouilles en Cavale et l’électronica archaïque de Millimetrik pour les découvertes locales, Daddy Long Legs pour l’énergie blues électrique et PyPy pour le fun, Thee Silver Mt. Zion Memorial Orchestra pour le hors-catégorie.
Arpentant les lieux que j’ai appris à plus ou moins connaître les trois jours passés, je me dis que je n’ai pas évoqués ici les évènements discrets de la ruelle derrière le Cabaret. Je n’y repasserai pas ce soir, elle gardera son mystère. Pour la principale soirée de clôture officielle, après un Owen Pallett qui va chercher l’émotion, c’est Daniel Belanger qui est accueilli comme le messie dans un Agora -la salle sise dans l’église- blindé comme jamais. Je découvre la musique de cette énorme gloire nationale: une variété country plutôt middle of the road.
Pourtant, dans le public fervent, nombre de festivaliers croisés en de plus aventureux shows. Un peu comme si, en France, des fans de Jessica93 pouvaient s’exclamer "Francis Cabrel, il envoie du bois!". Je sors en début de concert, de toutes façons à l’intérieur il fait trop chaud. Dehors, dans la nuit, des punkettes à chien sans chiens mais avec beaucoup de chien reprennent Eminem à la gratte sèche et à la scie musicale. Une cinquantenaire BCBG s’approche pour embrasser le jeune skater qui les accompagne sur un titre. Elle se tourne vers moi: "c’est un copain de mon fils, il va à l’école à Rouyn". Je cherche à connaître le nom de cette formation à l’évidence non signée: "On n’existe pas vraiment mais on dit qu’on s’appelle Gypsy Fish". Eh bien Gypsy Fish, vous avez fait ma soirée de clôture.
Je poursuis sur le même trottoir. Plus loin. Encore plus loin, derrière les rails. Vers ce décor qui me fait de l’œil depuis le début: des cheminées pointant vers le ciel nocturne, entourées d’une brume de fumée et de tuyaux enchevêtrés. La fonderie. Nocturne, elle impressionne -elle émet un grondement, semble en imperceptible mouvement, un être vivant, d’une beauté saisissante. Je reste debout devant elle, Rouyn est dans mon dos, je plonge mon regard dans sa lumière cuivrée. Au bout de la route, la voilà donc la bête lumineuse, mon original, ma baleine blanche.
Mais le festival réserve un inespéré et sérieux post-scriptum, qui bien sûr s’installe au Cabaret de la Dernière Chance: Ought. Phrasé New-Yorkais, accroches CBGB, ces toutes jeunes recrues de Constellation empilent les strates de l’histoire complète du punk (garage, ska, post…) au sein même de chacun des titres, qui convoquent en vrac Velvet, Television, Talking Heads, Iggy, Pistols, Undertones… et surtout réussissent à merveille d’impressionnants virages de tempo. Cette virtuosité cool, brillante mais pas ramenarde -vraiment intelligente- impose un solide pouvoir de séduction, au moins sur les trois premiers morceaux. Après, on sent parfois une répétition de la formule, et les compos sont souvent très longues pour des chansons punk. Mais à la fin du set la palette s’amplifie, le chant joue des scansions et se fait de plus en plus habité, tout en gardant ce détachement altier -Ought joue fort et précis, ne surjoue pas l’émotion qui advient. Il m’ont cueilli, perdu, récupéré, bref il s’est passé quelque chose.
Je ne dors toujours pas, dans peu de temps maintenant la route 117 en reverse puis le vol retour. C’est toujours la conjuration nyctalope qui gagne à la fin, mais je m’en reviens. J’émergerai demain.
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