Les années 90 ont eu quelques côtés épatants, il faut bien l'admettre. Imaginer qu'un DA de chez Atlantic s'est dit que sortir un album de Daniel Johnston (Fun) produit par un membre junkie de Butthole Surfers était une bonne idée d'un point de vue commercial laisse songeur (ce fut évidemment une catastrophe industrielle). Penser que quelques années plus tôt, une équipe de chez Geffen records a reçu les Geto Boys dans un grand bureau pour leur annoncer qu'ils ne distribueraient pas leur prochain album nous fait dire que par le passé les majors du disques étaient soient carrément couillues, soit totalement défoncées (probablement les deux).


Ce petit accident de business a donné naissance au troisième album du groupe de Houston le bien nommé We Can't Get Stopped. Le trio, alors en pleine possession de sa gouaille, est bien décidé à régler ses comptes avec un paquet de monde. Son ancien label donc mais aussi les politiciens qui voyaient dans le gangsta rap une jolie manière de passer pour des gardiens de la vertu de l'Amérique (quand on voit les sorties de piste de Trump aujourd'hui, cela laisse également songeur) et qui engageaient les potes du groupe dans la guerre du Golfe.  Fins sociologues, les trois s'attaquent aussi à la question de la guerre des sexes, sentant bien que côté rap game féminin quelque chose se trame. Paix et guerre à son paroxysme sur le classique "Punk Bitch Game", clin d'oeil au "Don't Call Me A Nigger, Whitey" de Sly And The Family Stone et qui concentre l'essence d'un morceau des Geto Boys: colère vocale, aridité musicale et funk sec comme un coup de trique (l'amour vache).

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We cant' Get Stopped fut un succès commercial, évidemment boosté par cette pochette improbable, qui reste probablement une des plus violentes ayant illustré un disque du Top 40. On y voit Bushwick Bill dans un couloir d'hôpital, éborgné par une balle (dispute avec sa copine ou tentative de suicide, les versions divergent) et brandissant un gigantesque GSM circa 1992. Mort et télécommunications faisaient déjà bon ménage vous l'aurez compris. Si le danseur devenu MC regretta par la suite cette cover, il faut bien admettre qu'elle donna au groupe une aura sulfureuse et violente, en pleine adéquation avec leur rap sombre qui ne ressemblait à aucun autre. 


Le gros tube intemporel de cet album reste évidemment "Mind Playing Tricks On Me", construit sur un sample du "Hung Up on My Baby" de Isaac Hayes et qui se hissa tout en haut des charts (comme on disait à l'époque). L'alliance d'une musique chaude et suave et d'un flow froid comme une pierre tombale qui débite un storytelling désabusé et paranoïaque est souvent notée comme la naissance du son "dirty south". Il y a sûrement du vrai là dedans. Cela reste en tous cas à ma connaissance une des embardées les plus sombres et humaines du rap US moderne, loin de la cinématographie presque hollywoodienne des disques "West Coast" de l'époque. Difficile donc de ne pas les désigner papas légitimes des Lil Wayne, Future et autres 21Savage qui font les beaux jours du rap Percocet.


Ps: si vous voulez jouer les thugs de pacotille, la marque Supreme a sorti une ligne de fringues inspirée de cet album. 

Geto Boys - We Can't Be Stopped (Full Album) 1991

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Geto Boys - My Mind Playing Tricks On Me

05:06