Juin 2017 : opportunément jetée en l’air, la rumeur court : le pays de la tour Eiffel accueille à bras ouverts chercheurs et scientifiques prêts à se retrousser les manches pour réparer le monde. Hourrah. Et ça ne date pas d’hier : ainsi, en 1912, une jeune physicienne, Maria Sklodowska, quitte la Pologne, enfile son habit de lumière, devient Marie Curie et entame une relation conflictuelle de trente ans avec les métaux les plus dangereux du monde dans les locaux parisiens de l’Institut du radium.


Septembre 2017 : Marie Curie est au centre de Saturnium, fiction multimédia imaginée par la photographe Dorothée Smith et le saxophoniste Antonin Tri-Hoang (Watt, ONJ). Le duo s’est lancé sur les traces d’un métal fictif capable de perturber l’écoulement du temps, le Saturnium, tombé d’une comète pour finir enfoui par la scientifique dans un puits de l’Institut. Entreprise ambitieuse, Saturnium se déploie en trois temps : d'abord dans une salle de l’exposition Rêves des formes (au Palais de Tokyo jusqu’au 14 septembre), où les portraits hiératiques de SMITH s'exposent à la bande son irradiée et spatialisée conçue par Antonin Tri-Hoang.

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Il y a ensuite un livre (chez Actes Sud) qui rassemble photographies, interviews, lettres, schémas, assorti d’un disque renfermant une quinzaine de designs sonores idoines. Tous deux esquissent plus qu’ils ne racontent l’histoire de la comète et de ceux qu'elle affecte, à charge pour l’auditeur/ lecteur de trouver son chemin, d'une balise à l'autre, dans cette proposition exigeante et complexe où la lumière de la raison scientifique et le questionnement sans réponses des poètes s'interrogent et s'inquiètent mutuellement, en brouillant au passage allègrement leurs frontières respectives.

La musique ? En regard des travaux flottants, luministes et sombres de SMITH, assez peu de saxophone, principalement un écosystème de sons synthétiques faits main et de techniques concrètes qui mutent et se télescopent joyeusement. L'ensemble est ouvragé avec une attention portée au détail qui évoque, c'est selon, un compteur Geiger affolé, les travaux patients des pionniers de la synthèse ou, plus récemment, les hiéroglyphes bioacoustiques d’un Rashad Becker. Au milieu de tout ça, émergent de temps à autre des agrégats ultra-fluides et saccadés joués en trio (avec batteur et guitariste). Au fil du disque, dialogues et considérations réflexives sur le Temps, l’art, le Saturnium, (enregistrée par le duo avec le concours de l'astrophysicien Jean-Claude Uzan) font encore bouger l’intrigue.


"Il ne faut plus voir les choses de façon linéaire, comme une histoire… "


Mc Guffin inaccessible, irréelle comme l’Origine dans la philosophie allemande, la chute de la comète provoque radiations, noirceur et mystères que rien ne vient élucider complètement : sous la lumière du microscope, une ombre s'obstine, opaque, indéfinie et pas causante, suggérant terreur ou fascination. Revient à l’imagination, à l’art ou à la mystique d’en manifester la présence et d’en projeter la réalité secrète et fragmentaire. A l’Institut du radium, quelqu’un, jadis, et sans s’en expliquer, a enfoui ses recherches, refermé la trappe et jeté la clef. En 2017, des musiciens descendent pour enregistrer en bas, et tant pis, ou tant mieux, si au fond du puits, comme chez Lovecraft, le temps n’a plus vraiment cours et la raison non plus.

SMITH, Tri-Hoang, Saturnium, Actes Sud

Le rêve des formes, Palais de Tokyo, jusqu’au 14 septembre

Crédit photo : © SMITH 2016- Spectrographies, 2015