La première fois que j'ai vu Guillaume Marietta sur scène, il atomisait littéralement avec son groupe AH Kraken la scène toute neuve du 104 à Paris, lieu institutionnel qui venait juste d'ouvrir et je me rappellerai toujours du filet de bave d'incrédulité qui dégoulinait de la bouche de l'attaché de presse du lieu en redingote. Depuis le messin a fait du chemin et se présente depuis quelques années sous les oripeaux d'une musique indie ovni qui convoque plein d'images mais finalement peu de références, ce qui est assez rare pour être signalé. On l'a rencontré quelques mois après la sortie de son deuxième album solo, le premier chanté intégralement dans la langue des Bérus.
J'ai vu que tu avais re-posté une
vidéo du live de AH KRAKEN à Sonic Protest en 2008 et ça m'a
frappé à quel point vous étiez dans la destruction totale là où
ce nouveau disque évoque une route plus lumineuse, qui regarde vers
l'avant...
Entre temps il
s'est passé beaucoup de choses, je ne suis pas passé de l'un ou
l'autre soudainement. Mais on ne peut pas se détruire indéfiniment
(sourire). AH Kraken était nihiliste, dans la musique et dans
l'attitude, vis à vis des autres groupes aussi. L'envie de casser
quelque chose qui ne nous plaisait pas. Quand on a démarré AH
Kraken, on se sentait seul, c'était avant Myspace. Quand tu venais
de Metz, tu étais complètement isolé, dans un petit village.
Aller jouer à Strasbourg c'était déjà l'autre bout du monde... Il
y avait quand même la scène noise, des gens plus âgés, Sun Plexus
par exemple. AH Kraken c'était sombre mais aussi très drôle.
Notre grosse influence c'était la No wave.
Une musique que tu aimes toujours ?
Oui mais que j'écoute beaucoup moins. La No wave a été très fugace parce que cette énergie, cette envie de détruire ne peut par essence pas exister sur la durée.
Il y a peut-être moins de prise de
position ou de "statement" dans ce que tu fais actuellement ?
Oui il n'y a pas
de prise de position ou plutôt d'opposition, mais j'ai toujours
cette espèce de rage en moi qui s'exprime dans les concerts, quand
j'ai envie de tout péter, que tout explose. C'est la même qui
m'habite depuis mes débuts. Mais en effet je n'ai plus de prise de
position et ça me permet d'être beaucoup plus libre.
On dirait que tu as été presque déçu que ton passage au chant en français ne choque pas plus les gens que ça...Tu craignais ce truc là ?
On me pose très
peu de questions sur mes paroles. A chaque fois qu'on me parle d'un
texte c'est toujours sur « la grande ville malade »,
parce que je dis des gros mots et des choses vulgaires (rires). Pour
moi c'est loin d'être le plus représentatif du disque. Mon label
m'a dit que certaines personnes étaient choquées par ce passage en
français, et que certains trouvaient que je flirtais avec la
variété. C'est une catégorie que je connais très mal et que je
n'arrive pas à définir. Mais comme j'ai apparemment mis le pied là
dedans, il y a une nouvelle grille de lecture qui apparaît « ha
tiens il chante mal », qui ne serait jamais apparue si j'avais
chanté en anglais. Mais je suis content d'être à la croisée de
plusieurs choses
J'ai lu que tu étais à la recherche de quelque chose d'universel, que les gens désormais abordent tes sorties comme « un disque de Marietta » un peu à la manière d'un disque de Dylan ou Springsteen...
Ha non pas Springsteen, j'ai vraiment du mal avec lui (rires). Oui
j'en ai eu envie dès mon premier disque solo, dès que je me suis émancipé
de Feeling Of Love et que j'ai assumé de jouer sous mon nom. Comme
Lou Reed ou comme Neil Young, je voulais pouvoir m'affranchir de
cette idée de cahier des charges et faire la musique que je voulais.
Je ne veux pas me cantonner à un style, ça ne marche pas pour moi.
Il y a toujours ce paradoxe avec Marietta de sonner très différemment sur disque et en concert et celui ci ne fera pas exception...
C'est normal, ce disque là n'a pas été fait en groupe, il a été enregistré à deux. C'est un peu un disque de chambre. On était avec Chris Cohen dans un minuscule studio, qu'il a aménagé dans un box de bagnole. C'était comme être à la maison, juste avec un type qui t'aide et qui fait des super prises de son avec un peu de matos. C'est pour ça que je suis allé vers lui, car il avait une approche très similaire à la mienne.
Comme Chris Cohen tu veux rester dans cet artisanat et ne pas aller vers quelque chose de plus mainstream, ce qu'il pourrait aisément faire vu ses talents de mélodistes et de producteur ?
Je pense que lui, comme moi, ne se pose pas ces questions. Les codes qui parlent au grand nombre ne m'intéressent pas, je n'arrive pas à m'amuser assez longtemps avec. Je vais jouer avec 5 minutes et puis je vais avoir envie de les détourner, ajouter des choses, aller ailleurs...
Tu fais beaucoup de radios avec ce disque, c'est une façon de rentrer chez les gens ?
Je rentre chez certains et je sors de chez d'autres.
Ca t'embête ça ?
Non pas tant que ça. J'ai été surpris de recevoir des messages
d'amis de Metz qui étaient attachés à la première période de mon
boulot avec AH Kraken ou Plastobéton et qui me disaient beaucoup
aimer ce disque.
En même temps cet album reste sombre avec un peu de crasse dessus. Je pensais pas mal à Gun Club notamment, où les morceaux sont mélodiques et tu sens que le chanteur règle des comptes avec plein de choses...
Je prête attention à mes mélodies, à mes arrangements mais c'est pas de la décoration, c'est pas pour faire beau. Je déteste quand les musiciens disent « je ne triche pas ». La seule chose que j'essaie c'est de suivre la ligne que j'ai dans la tête et d'aller au bout de mon idée, sans me censurer.
Beaucoup de gens, musiciens et autres, légitiment tout ce qu'ils font par ce qu'ils ont vécu enfant ou adolescent. Tu penses qu'une certaine période de ta vie définira toujours la musique que tu fais?
Non pas du tout. Forcément mon adolescence a été charnière car
mes sens se sont aiguisés et affolés en même temps. Nirvana m'a
ouvert la porte vers toute la musique indie et tout s'est élargi
depuis ce moment là. Mais chaque jour je fais de la place dans mon
cerveau pour des nouvelles choses.
Tu n'es pas comme Daniel Johnston qui écrit tous ses morceaux sur la même fille qui l'a rejeté au lycée ?
C'est ce qu'ont dit de lui mais c'est réducteur. Il a écrit
tellement de chansons. Si je devais résumer ce sur quoi j'écris
c'est simplement sur mes interrogations, les choses qui me dépassent
et que je n'arrive pas à saisir.
Qui prend le pas sur l'autre désormais: la musique ou les textes ?
Les deux sont toujours liés. C'est un peu la même chose que tu ressens quand tu lis de la poésie : c'est mettre des mots sur quelque chose qui dépasse les mots. C'est ce que j'aime chez Dylan ou Lou Reed qu'on a toujours qualifié de poètes. Au final ce qui te transperce c'est la voix. J'ai eu accès à ces artistes même si ma maîtrise de l'anglais ne me permettait pas forcément de tout comprendre. Regarde un morceau comme « Desolation Row» de Dylan qui ne contient que trois accords mais a un texte très long. Ce qui te transperce au final c'est la qualité de l'interprétation. La voix, la respiration, l'incarnation c'est ça qui fait le morceau. Au final, avec ma musique ce que je fais c'est que je cherche un chemin, le chemin de ma maison (sourire). C'est comme lorsque tu marches dans le désert et que tu te retrouves face à un mirage. Tu crois que tu es arrivé et puis non c'est une illusion et tu continues ton chemin. En l'occurrence, moi ce chemin je le cherche en écrivant mes morceaux.
« La passagère » de Marietta est disponible chez Born Bad Records.
Il sera en groupe en live ce soir à Petit Bain pour la soirée Labo Pop.
Photo: Titouan Massé.