Duo presque biterrois composé de deux anciens membres du groupe 90's culte Sloy, 69 propose depuis une petite dizaine d'années une formule électronique à la fois rock, décharnée et d'une violence sourde, dont la noirceur semble aller crescendo au fil des années - en témoigne leur glaçant dernier album Heroic, paru en fin d'année dernière sur le label Le Turc Mécanique. Les aficionados de Virginie Peitavi et Armand Gonzalez ont découvert ce disque en fin d’année sans savoir que cette dernière œuvre de 69 était incomplète. Ce n’est plus le cas depuis la parution du court-métrage associé, coécrit par le couple, qui a aussi remanié ses morceaux pour composer une plage de 12 minutes aussi sombre et dépurative que les images qu’elle hante. Captée le 1er décembre dernier après leur release party au Petit Bain de Paris, voici une interview laissée dans les cartons sans autre raison valable qu’un embouteillage saisonnier, et que l’actualité réclame enfin à grands cris. Où il est question de traumatisme familial, de choc des générations, de châteaux hantés et de Heroic le film, enfin disponible sur Youtube. 

Heroic [court-métrage]

69

12:38
Votre dernier album en date, Heroic, est paru chez Le Turc Mécanique, le label de Balladur, Strasbourg, Empereur… Est-ce qu’on peut vous considérer comme des parrains de cette scène qui puise dans le post-punk?

Armand Gonzalez : On ne s’intéresse pas à ce qu’on peut apporter. C’est pas péjoratif, hein, c’est juste qu’on ne se rend pas compte. Et puis à notre âge, on sait que tout est cyclique. Nous-même, quand on avait dix-huit ans, on voyait des groupes qui reprenaient ce qui avait été fait vingt ans avant. Il suffit d’attendre qu’un style soit digéré. Quelque part, je pense que les jeunes groupes dont tu parles se foutent de s’inscrire dans une chronologie, ils sont dans la spontanéité.

Virginie Peltavi : Et puis ils ont accès à une technologie différente, qui change complètement la donne. 


J’ai l’impression qu’avec 69, vous allez vers une musique de plus en plus squelettique et de moins en moins pop. 

AG : Notre musique reste pop mais pas dans le sens "populaire". Hier, après nos balances, l’équipe technique a fredonné pendant 10 minutes la mélodie qui tournait. C’est pop, ça, pour moi. Ce qui n’est pas pop, c’est le math rock, les trucs que tu ne peux pas retenir. 


Je sais que le précédent album, Adulte, correspondait à une période de grosse remise en question personnelle. Comment avez-vous appréhendé la gestation de Heroic ?  

VP : Il nous a fallu un an de recherches pour trouver ce qu’on voulait faire…
AG : C’est une musique de laboratoire.
VP : Et il y a eu un événement dans notre vie, début 2016, qui a fait que ça s’est concrétisé.
AG : En fait, on a eu un accident de voiture extrêmement violent, tous les trois avec notre fils de douze ans. Un vieux sous cachets nous a coupé la route sur une nationale et on l’a percuté de plein fouet. On aurait pu y rester. Ce n’est pas passé loin.
VP : Ce qui a forcément modifié notre manière d’écrire et de composer de la musique.
AG : Sans cela, on serait sans doute resté dans la continuité d’Adulte. Mais là, on est descendu encore plus bas.
AP : C’est pour ça que l’album est très froid.
AG : Pour certaines personnes, on apparaissait déjà comme un groupe très radical dans nos choix. Je crois que quand tu vis un truc comme ça, tu as encore moins envie de faire des compromis. Ça nous a montré que tout peut s’arrêter en un claquement de doigt. 


Plonger dans la noirceur, c’est toujours libérateur ? 

AG : Oui, ça permet d’aller mieux.
VP : C’est quelque chose qui correspond à nos caractères.
AG : Là, on sort un court-métrage lié au disque. Quand les gens vont le découvrir, ils vont comprendre les titres des morceaux, les mélodies, la pochette… Le film est un peu lié à cet événement. On a essayé de retranscrire ce qu’on a vécu de façon très froide. Cette histoire est un antidote. Il y a l’idée de combattre la mort. C’est pour ça que notre fils joue dedans.
VP : On l’a tourné avec un réalisateur qui est devenu un ami, Pierre-François Gautier.
AG : L’histoire est particulière parce qu’on se rendait au vernissage d’une exposition de Pierre-François, qui est aussi photographe, quand on a eu l’accident.
VP : Le court-métrage est aussi lié à notre vie par qu’il est tourné dans le territoire que nous habitons, dans des coins inconnus des touristes. 


La dernière fois qu’on s’est rencontré, Armand, tu m’avais dit que la musique de 69 était une sorte de thérapie. C’est donc encore plus le cas aujourd’hui. 

VP : Par la force des choses.
AG : C’est aussi parce qu’on est capable de le faire. Tout le monde n’est pas capable d’évacuer ce genre d’émotions par l’art. On a cette chance, on le reconnaît.


Vous vous connaissez depuis l’âge de onze ans et vous faites de la musique ensemble depuis l’âge de seize ans. Je repense à cette autre phrase qui m’avait marqué : "Notre jardin secret est très réduit mais on a appris à l’accepter". 

AG : C’est vrai. On n’a plus trop de secrets l’un pour l’autre. Pour certaines personnes, c’est compliqué, pour nous c’est une force. Mais ça nécessite une honnêteté intellectuelle totale. Quand tu as cette honnêteté-là, tu fais beaucoup de choses, tu as beaucoup d’énergie, parce que tu n’as rien à cacher. 


Est-ce que vous avez des projets artistiques chacun de votre côté ?

VP : Non. Faire un album demande beaucoup de temps et d’énergie, il faut prendre le temps ensuite de se ressourcer. On ne peut pas faire autrement.


Armand, ta page Wikipédia parle d’un album solo qui serait sur le feu.

AG : Oui, j’ai commencé à le faire, ça s’appelle Château Bandit. C’est un album juste avec ma voix et ma guitare réverbérée, chanté en français. Je vais l’enregistrer en captation directe dans des lieux abandonnés, sans passer en studio. Pour l’instant, j’en suis au repérage des lieux : des vieux hôpitaux, des maisons abandonnées, une ancienne usine d’eau de javel, des châteaux hantés. C’est compliqué parce qu’il faut trouver un accès, jouer très vite et lever le camp.


Sur ce point, votre approche est éloignée de celle de la nouvelle génération. Les membres de Balladur, par exemple, mènent de front tout un tas de projets.

AG : C’est en effet une question générationnelle. Nous, on vient d’une génération qui n’a pas connu cette profusion. Il n’y avait qu’un objet et il fallait faire une démarche pour découvrir un groupe. Ça change tout. L’autre jour - ça m’a fait rire - j’ai vu sur Youtube une démo qui expliquait comment avoir le son de Joy Division. Pareil pour reproduire la chain pedal de My Bloody Valentine. Je trouve ça excellent et en même temps, quel manque de magie ! Il n’y a plus rien ! Au lieu d’acheter tel clavier, pourquoi ne pas prendre une pédale, défoncer un clavier 50 euros acheté à Emmaüs et avoir son propre son ? Quand je vois le set up des groupes actuels, il n’y a aucun appareil qui m’intéresse. Ils vont chez Thomann et achètent tout. La création se passe dans leur tête, pas au niveau des instruments, parce que les usines font le boulot pour eux en amont. Sachant d’où on vient, on ne peut pas être excité par ça.


L'album Heroic de 69 est sorti en novembre dernier sur Le Turc Mécanique. Il est en écoute intégrale ci-dessous et disponible ici :  

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