En novembre 2016, le mythique label Saravah fêtait ses 50 ans avec une fête au Trianon qu’on avait pris soin d’éviter après avoir jeté un coup d’œil à son line-up (Albin de la Simone, Jeanne Cherhal, Séverin, Arthur H…). Un mois plus tard, son fondateur Pierre Barouh partait voir si les trépassés pratiquaient « l’art de la rencontre » dans l’au-delà. Et chaque vivant encore vivant y allait de sa nécro sentimentale, comblant à grand peine les gouffres laissés dans une histoire que l’intéressé n’avait jamais pris le temps d’écrire, préférant la vivre - ou, par intermittences, la filmer.


Une année a passé mais l’héritage laissé par le flâneur n’en finit pas de vibrer. Le Lieu Unique, l’agence Julie Tipex et Benjamin Barouh (fils de, qui a tenu la barre du label pendant 15 ans) ont donc eu la belle idée de monter une nouvelle création qui, hosannah, rend enfin justice à cette maison de fous où s’esbaudirent en leur temps Brigitte Fontaine, Jacques Higelin, Areski, Pierre Akendengué, Naná Vasconcelos, Jean-Charles Capon, Steve Lacy et même (!) Les Silver D'Argent de Charlie Schlingo.

Avec au casting des anciens pour incarner l’Esprit (Areski, adolescent éternel et inventeur du « son Saravah », qui a invité chacun à se montrer le plus irrespectueux possible des morceaux repris, et le saxophoniste Etienne Brunet), un Brésilien de passage à Nantes pour l’ADN sambista (Vitor Garbelotto), deux couples de sauvages libérés qu’on ne prendra même plus la peine de comparer à qui-vous-savez (ARLT et Marion Cousin/Borja Flames), et trois musiciens de studio aguerris comme ultimes remparts au chaos (The Recyclers, autrefois backing band de Katerine, lui-même adoubé par Brigitte Fontaine).


La première du concert « Saravah revisité » fut ainsi un concentré de saravahtude, plein d’audaces et de flottements, de risques et de délices, de zèle et d’hébétude, d’égos froissés avec douceur puis réparés avec force, de moments de grâce en forme de crissements. On y a entendu, en mutation, quelques classiques obliques du label tels que 80AB de Barouh, Je Suis un Sauvage d’Alfred Panou et l’Art Ensemble Of Chicago, Un Beau Matin d’Areski (scoop : ce chef d’œuvre va enfin être réédité cette année) ou Patriarcat de Fontaine, mais aussi des pièces plus obscures (c’est très relatif) comme Zombizar de Barney Wilen ou Zophrène de Jean-Roger Caussimon, chanson sur la schizophrénie qu’Areski a cru bon d’incarner jusqu’à en perdre les paroles, l’annoncer, l’assumer, avant de les retrouver à l’envers de sa feuille.


La fête s’acheva sur une Samba Saravah reprise en chœur par le public nantais, bouclant la boucle jusqu’à ce jour de 1966 où Pierre Barouh, Francis Lai, Fernand Boruso (grand oublié des pères fondateurs) et Claude Lelouch décidèrent d’éditer eux-mêmes la bande originale d’un film en panne de financement qui allait décrocher la Palme d’Or à Cannes (Un homme et une femme) et faire dévier leurs destins. Voire à cette nuit de la fin des années 50 quand Barouh, revenu bredouille du Brésil, tomba par hasard dans un appartement de Saint-Germain-des-Prés sur ceux qu’il était parti chercher si loin : Baden Powell et Vinícius de Moraes, qui devint instantanément son mentor et lui confia la tâche d’adapter sa Samba Da Benção pour diffuser ici son message de fraternité entre les peuples.


« Être heureux, c'est plus ou moins ce qu'on cherche/ J'aime rire, chanter et je n'empêche/ Pas les gens qui sont bien d'être joyeux/ Pourtant s'il est une samba sans tristesse/ C'est un vin qui ne donne pas l'ivresse/ Un vin qui ne donne pas l'ivresse ». Ivres, tristes, joyeux, nous étions tout ça ensemble en ce samedi 13 janvier, à Nantes, réveillant nos soleils au fond de la nuit.

Brigitte Fontaine & Areski - Le bonheur (1977)

07:22

Pierre Barouh 80 a.b.

02:26

Anouk Aimée et Pierre Barouh - Un homme et une femme (1966)

04:48

Samba Saravah, Pierre Barouh, Baden Powell 1969

02:20