Dans la torpeur de l’été Tunisien, là ou 35 degrés de pure chaleur s’appliquent à dévorer chaque parcelle de votre peau citadine en coalition avec des escadrilles de moustiques dressés pour tuer, c’est une vibration inédite qui s’est dressée entre deux hôtels de bétons.
Pop In Djerba, c’est le nom de ce petit cataclysme qui pendant une semaine a doucement chamboulé la petite île tunisienne, ses touristes et la torpeur apparente du paysage culturel d’après la révolution. Revendiquant l’influence du DIY cher au punk et le manifeste du collectif cultocryptique Underground Resistance, le festival initié par Kamel Salih, collaborateur de Gonzaï, avait aussi à cœur de s’affranchir du cynisme un peu trop prégnant chez les organisateurs de festival de la métropole vis-à-vis d’une certaine idée de l’engagement. Pour cela, il a emmené dans son sillage nombre d’associations locales et autres think tanks post-révolution dédiés à la sauvegarde de l’Ile et à cette chère démocratie, vestige tout neuf chérie comme un trésor.
Le plan de bataille de Salih et de son équipe avait aussi pour vocation de lutter contre ces clichetons à la peau tannée des vacances en Tunisie: balade en chameaux, buffet oriental au bord de la piscine et toujours les très médiatisés « barbus vociférants » (dixit Salih) qui occultent largement le renouveau dynamique de ce petit pays. Sans deniers publics, on s’est en tout cas démené chez Pop In Djerba pour s’offrir un emplacement de premier choix, étalé sur près de 3 hectares, et peaufiner jusqu’à la dernière minute un site digne des classiques de la métropole ou se côtoyaient disquaires, bar Heineken, et zone VIP ornée de palmiers. Marchant sur des oeufs, soucieux de son image, le festival est surtout parvenu à contourner l’écueil du festival-français-qui-vous-fait-voyager, et qui évoque instantanément les visions d’apocalypse de ces raouts pseudo-paradisiaques où l’on affrète des charters de Parisiennes pour danser en maillot de bain deux pièces les pieds dans l’eau façon The Grind.
On frémissait littéralement à l'idée de retrouver le 11ème arrondissement parisien dans un site décoré à la Koh-Lanta ou d’un déplacement festif de la communauté créateuso-hipster parisienne au Club Med, et ce fut tout le contraire. Rien de plus, rien de moins qu’un petit festival à échelle humaine, au public effectivement peu mélangé mais majoritairement tunisien malgré le PAF salé pour la jeunesse du coin, et une programmation en rupture avec ses habitudes mélomanes (hip-hop et house) : du post punk trendy pour faire danser la Flèche d’or (Fangs, Egyptian Hip Hop), des pousseurs de disques à l’ADN 100% parisien (Guido et plein d’autres gens de Chez Moune, les amis des Balades Sonores, Gilb’r, Poni Hoax), un « succès inattendu de l’année 2012 » (College) et, tout de même, quelques saveurs crossover locales mais point trop épicées (les voisins de Haoussa, la chanteuse Emel Mathlouthi). A défaut de mixité dans l’audience, on a même eu droit à quelques timides tentatives de déterritorialisation interculturelle façon Band Aid ou « We Are the World » sous la forme de modestes featurings emmêlés.
Le seul instant de vraie confusion, on le doit curieusement à Connan Mockasin. Débarqué sur scène à dos de chameau, en mode totale connivence (« Tu shakes du popotin ? » en Français dans le texte), le blondinet acclamé dans nos contrées a recontré un écho particulier auprès des festivaliers en se lançant dans une reprise du "Do you Remember" de Michael Jackson, qui a surtout marqué les mémoires pour sa fantaisie orientaliste à rallonge façon Mille et une nuits à Alexandrie. Un peu fastoche ? Le Néo-zélandais ne le sait probablement pas, mais par sa timide transmutation, il a synthétisé à peu près toutes les attentes secrètes du festival.
Mais le moment le plus précieux de Pop in Djerba, je ne l’ai vécu ni dans la fosse du festival ni dans le confort d’un transat, mais lové dans les récits de souvenirs de Gilb’r, passionnant patron du label Versatile et fils de Juifs tunisiens originaire de l’ile en visite pour la troisième fois sur place. Assailli de plein fouet par le paradoxe proustien du souvenir dont on ne sait plus s'il coule de l'enfance ou des histoires qu'on nous a raconté, il m’a avoué avoir l’impression d’avoir glissé dans une faille spatiotemporelle. Entre visites à la Ghriba (l’une des plus vieilles synagogues du continent) et repas convivial improvisé dans le vieux quartier juif, entre souvenirs opaques et images floutées, son séjour fut comme un long rêve éveillé. Comme lui, comme les autres blancs-becs présents, je n’étais ni au Club Med ni au Paradis : seulement en visite à un festival de pop music dans ce pays unique, complexe, ressuscité qui s’appelle la Tunisie. Vue la situation ici, vue la situation là-bas, c’était la moindre des choses.
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