James Kirby n'en est pas à son premier disque prescient. En 1999 par exemple, avec les Selected Memories from the Haunted Ballroom de The Caretaker, il anticipait d'une bonne décennie l'obsession de notre époque pour les fantômes, les trous noirs sémantiques de Shining, et ce curieux mouvement artistique obsédé par les ravages du passé sur le présent qu'on regroupe sous le terme d'hanthologie. Pour cause de visibilité médiatique et sans doute de gratuité, le plus divinatoire de ses projets pourtant est largement passé inaperçu à sa "sortie". En 2006, l'ex fauteur de troubles de V/VM mettait à disposition sur son propre site de téléchargement un monstre dark ambient découpé en 205 mouvements ("flashbacks") intitulé The Death of Rave, qui annonçait avec 8 ans d'avance l'obsession actuelle de la musique électronique européenne pour l'âge d'or de la rave.
A l'époque exilé de fraîche date en Allemagne et passablement déprimé par l'effondrement forcé de son label V/VM Test Records, Kirby produisait en abondance une musique sévère et tâtonnante, souvent passionnante mais formellement sans doute trop proche de la tourmente qu'il traversait pour qu'on mesure son importance. Malgré sa proximité avec les sabotages hantés et autres plunderphonics grimaçants de V/VM, The Death of Rave était tout autant un acte d'exorcisme intime qu'un avant-goût visionnaire de l'étrange état de la dance music en 2014, à la fois obsédée par son passé et son incapacité à le dépasser.
Adolescent dans la banlieue de Manchester au coeur des années 80, Kirby a vécu le séisme acid house depuis son épicentre. Ce qu'il déplorait déjà en 2006, avec deux ou trois trains d'avance sur la plupart de ses concitoyens, c'était l'incapacité du temps présent et de l'underground électronique en particulier à accoucher d'un mouvement social et artistique à la hauteur de l'utopie rave, c'est-à-dire suffisamment vibrant et imprévisible pour lui faire rêver de l'avenir. 8 ans plus tard, il va sans dire que sa contrition est plus que jamais d'actualité:
"L'idée du projet est née au début de l'année 2006, après ma découverte du Berghain à Berlin. A l'époque, la réputation du Berghain comme temple n'avait pas encore explosé sur la scène club internationale. Mais on pouvait sentir que quelque chose de spécial était en train d'arriver. En allant là-bas, j'ai entrevu l'ombre falotte du passé. Des beats sinistres et emmerdants, pilonnant sans cesse les oreilles d'un public qui avait sans doute l'impression de participer à une expérience collective mais qui manquait de cohésion et d'énergie. J'ai eu l'impression que quelque chose était mort. Appelons-ça un esprit, un idéal, une aventure sonore. La rave et la techno étaient morts dans mon coeur. Dans sa forme originelle, The Death of Rave était un projet immense, plus de 200 flashbacks recyclant les hits de dancefloor de l'époque et les dépouillant de leur énergie et de leur esprit pour les transformer en ombres, en fantômes. C'est une musique qui anticipait l'obsession récente de musiciens plus jeunes de recréer les textures de la rave et des souvenirs vécus par d'autres. Il ne s'agissait pas non plus de nostalgie. C'était un chant de louange inversé, dédié à un temps où le but de la musique était de rassembler des gens pour leur faire vivre une expérience commune, où seuls la musique, le progrès par le son et la fraternité importaient".
Loin des recréations révérencieuses des gamins nés dans les années 90 dont l'expérience des rave parties se limite généralement à rêver devant des JPEG de flyers vintage, The Death of Rave n'a donc musicalement rien à voir avec de l'acid house ou du hardcore. Son matériau sonore est exclusivement du hit de rave, mais tout ce qu'il donne à entendre est une sorte de résidu spectral, désertique et hyper fantômatique, d'autant plus perturbant que l'esprit ne peut s'empêcher d'y déceler des oripeaux de musique, de souvenirs et d'expériences. C'est le son de la perte, de la déliquescence à l'état pur. C'est, dans la forme extrêmement concentrée que Kirby nous propose aujourd'hui de redécouvrir - 8 fragments triés sur le volet parmi les 205 que comptait initialement le projet puis gravés sur un LP en tirage très limité - l'une des oeuvres les plus simples, littéralement mélancoliques et poignantes que l'Anglais nous ait offert à entendre. Le disque est disponible exclusivement sur Boomkat en format physique, et en cliquant sur le lien Bandcamp ci-dessous pour le MP3. Ne tardez pas à vous décidez à vous le procurer si, comme nous, comme James Kirby, la disparition inexorable des choses qui importent le plus fait partie de vos plus grands tourments.
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