Depuis l'avènement, via la saga Star Wars, des visions désabusées du futur de la bande Métal Hurlant (les Jean-Claude Mézières, Bilal, Moebius, Druillet), on parle chez les amateurs de science-fiction de "used future" ("futur usé") pour qualifier ces univers imaginaires où les vaisseaux spatiaux ressemblent à des vieilles carlingues et les planètes les plus éloignées à La cité des 4000 au mois de février.
Or on trouve le terme très probant pour parler de nombre d'oeuvres de notre temps: dans le marasme largement rétrofuturiste qui est à la nôtre, toutes les histoires qu'on nous raconte, toute la musique qui sort ont quelque chose à voir avec un futur de ruines et d'abandon. Repéré au milieu de mille projets aux pedigrees tous plus impossibles à établir les uns que les autres (Headwar, Les Morts Vont Bien, Roberto Succo, Sultan Solitude), Nico Belvalette mérite un peu plus encore que la plupart de ses contemporains qu'on sorte la carte futur raté parce qu'il joue sa musique en solo sous le nom d'Usé, que sa musique nous rappelle que le futur auquel on rêvait gamin, c'est maintenant, et qu'il a fait des synthétiseurs en déréliction ses instrument de prédilection.
Sur Chien d'la casse, premier album "grand public" de ce projet né en 2011, l'Amiénois joue en gros le genre de musique qu'aurait dû jouer le groupe de la cantina 2.0. dans Star Wars VII si J.J. Abrams avait mené jusqu'au bout son projet morbide à souhait (pour ceux qui ne l'auraient pas vu : l'acceptation contrainte ou forcée d'un monde où l'imaginaire ne serait plus affaire que de mises à jour d'histoires déjà connues et de photocopies des mythes à l'infini) - à la différence précieuse que Nico Belvalette est le contraire d'un misanthrope ou d'un cynique. Plutôt un sévère mélancolique, qui donne dans une punk-chanson synthétique et intimiste, orgastique et brutalement désabusée où il ne célèbre rien d'autre que l'heureuse surprise d'être encore en vie malgré toute cette merde, après tout ce temps.
Pas la peine d'aller vous chercher de jolies références musicales pour vous donner envie d'écouter Chien d'la casse, donc. Il y a tout ce qu'il faut dans le titre du disque et le nuage radioactif qui passe au-dessus du chien enragé qui grogne dès les premières secondes de "Nuke Moi" pour convaincre n'importe quel mélomane au coeur pur qu'il doit se presser pour lui accorder tout son amour et toute son attention. Largement imperméable aux modes qui sévissent dans les undergrounds de nos contrées (du garage de brocanteur à la neo new-wave de fils de médecin), Usé joue tous ses instruments (synthés de la casse, donc, mais aussi guitares, batterie, tonnelets de bière vide) et tous les genres de chansons (de la fureur motorik sur "Amphetamine" ou "Infini" à la chopin-erie déchirante dans "Sous mes draps") comme si sa musique devait incarner au plus près sa joie et ses dépressions, sa colère et ses ravissements.
Alors comme la musique de ses amis et collègues Scorpion Violente, Terrine ou Jessica 93, la musique d'Usé fait autant de mal qu'elle fait de bien. Mais quand elle s'emballe dans la violence, la vitesse ou la mélancolie, elle est grisante comme peu d'ersatzes de rock, de noise ou de techno actuels sont grisants, comme si quelque chose de plus juste, de plus vrai s'y exprimait. C'est sans doute faux et mal de le croire, mais on est pas complètement contre le fait de prendre parti en toute mauvaise foi pour un disque qui se range du côté des clébards pourris qui vous inoculent leur eczéma quand on les caresse plutôt que les dogues de compétition qu'on fait défiler dans les vélodromes.
Chien d'la casse est dispo depuis une dizaine de jours chez Born Bad.
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