Ça fait des années qu'on attend que Dominick Fernow nous sorte un disque comme ça. Parce qu'on mourrait d'envie de l'entendre et qu'il était incontestablement le seul à pouvoir nous le pondre: Frozen Niagara Falls le bien nommé est un blockbuster noise dans tous les sens du terme, long à crever, hyper varié, poli au micro-hertz près, rempli de toutes les nuances du noir au noir très foncé et toutes les températures de couleur du blanc au bleu glacé, autant capable de s'imposer comme un classique crossover capable de faire rentrer le harsh noise dans les colonnes de Rolling Stone et les chambres des adolescentes émoustillées par leur découverte de Joy Division que de faire exploser un pâté de maison tout entier en une seule déflagration.
En ascension continue depuis A Simple Mark, sa première cassette auto-éditée sur Hospital en 1998, Fernow ne s'est jamais rendu coupable du moindre écart artistique ni du moindre compromis, mais semble figurer parmi les mieux placés depuis le début pour faire passer la musique de bruit analogique de l'autre côté, là où on lit de la poésie et où la musique ne s'écoute qu'à la condition exclusive qu'elle sonne "sincère", "harmonieuse" ou "littéraire. Sans doute parce qu'à l'inverse de la plupart de ses collègues harsh noisers d'Amérique, d'Europe et du Japon, Fernow incarne son boucan de tout son corps et de toute sa personne et accueille à bras ouverts jusqu'aux métaphores les plus romantiques pour déchiffrer ses hurlements, il est en tout cas devenu une vraie icône de la musique de notre temps, reconnaissable à ses tenues toutes noires autant qu'à son engagement, à sa capacité surtout à marquer au fer rouge tous ses projets, qu'ils soient power electronics (Exploring Jezebel), pur noise (Tortured Hooker, Machinegun Warfare, Winter Soldier), ambient (Rainforest Spiritual Enslavement), ou techno-parano (Vatican Shadow).
Projet son plus connu et son mieux identifié, Prurient a longtemps été une affaire de hurlements, de feedbacks physiologiquement éprouvants et de percussions ensanglantées. Mais de plus en plus sévèrement parasités par ses autres projets, ses disques et cassettes se sont peu à peu laisser envahir par les nappes, la haute-fidélité électronique et le calme d'après la tempête, quitte à nous faire perdre de vue ce qui constituait sa singularité dans la discographie infinie de Fernow. Suite de l'emblématique Bermuda Drain paru en 2011 sur feu Hydra Head, Frozen Niagara Falls ressuscite en quelque sorte les assauts de bruit les plus redoutablement habités mais embrasse aussi l'oeuvre de Fernow toute entière, ne se refusant de fait aucun écart synthétique, aucune descente lyrique, aucune tentation de chanson, concassant souvent tout au sein d'un même morceau de black synth wave hurlé plus fort que 98% du black metal de ces quinze dernières années.
Alors soit, Frozen Niagara Falls dépasse allègrement l'heure et demi une fois ses deux disques mis bout à bout, il paraît sur le label de metal extrême Profound Lore mais il n'est pas qu'extrême, loin s'en faut; seulement extrêmement fort, subtil, intense, pénétrant, dérangeant comme le furent en leur temps Musick to Play in the Dark de Coil ou, plus près des adolescents dont on souhaite désespérement qu'une âme damnée leur mettra Frozen Niagara Falls entre les tempes, The Downward Spiral de Nine Inch Nails. Un très grand disque, donc, qu'on écoutera très longtemps.
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