En début de semaine dernière, Fat White Family dévoilait son nouveau single, "Whitest Boy on the Beach", et nous invitait par la même occasion à "danser sur le rythme de la haine humaine". Alors même qu'on vous disait notre incapacité à articuler un début de pensée sur la musique à peu près au même moment, cette déclaration résonnait pourtant de manière prégnante à nos oreilles (vous devinez aisément pourquoi). Entendue à la Cigale le vendredi 13 au soir dans le cadre du festival des Inrocks, la musique de Fat White Family (sale, primitive, désaccordée, tout ce que vous voudrez) prenait alors une ampleur étrangement vivace, quelques jours après les attentats.
Je ne vais pas vous faire un topo sur le soit-disant pouvoir guérisseur ou thérapeutique de la musique, d'une part parce qu'il serait extrêmement malvenu de ma part de me pencher là-dessus compte tenu des circonstances, d'autre part parce qu'on pense qu'il ne sert à rien de contribuer à la machine à bordel déjà à l'œuvre depuis maintenant plus d'une semaine. Néanmoins, il serait intéressant de considérer un moment le caractère escapist de ce nouveau morceau de Fat White Family. Notion toute anglo-saxonne (en tout cas lorsqu'on l'applique à la musique) qui consiste à s'extraire d'une réalité déplaisante ou hostile à travers toute forme de diversion ou d'expédient, elle peut être adressée ici, si l'on considère le côté récréatif de la musique du groupe. Que ce soit à travers la techno de Detroit ancestrale ou les kids qui se défoncent à la MD dans des festivals aujourd'hui (pour faire large sur l'échelle de la conscience de classe tout en usant de la même forme musicale), le recours à la musique comme échappatoire, qu'il soit social, affectif ou politique, n'a pas attendu de se trouver en face de circonstances tragiques pour se faire entendre. Mais dans le cas présent, il nous montre, s'il en était besoin, que la musique ne se définit parfois pas tant par ce qu'elle nous dit que par ce qu'on a à lui faire dire. Et que ses fonctions (qu'elles soient libératoires, désinhibantes ou purifiantes) ne se nichent pas tant dans ses composantes en elles-mêmes que dans ce qu'on veut bien y injecter.
crédit photo : Bobby Bruderle
Connu pour ses concerts ravagés, l'animal londonien Fat White Family, dont le premier album Champagne Holocaust est sorti en 2013, a vite fait d'être considéré par certains comme l'une des dernières (si ce n'est la dernière) incarnations d'un rock anglais outrancier, souillon et détraqué pour de vrai. Mais le groupe, qui se joue intelligemment de son image d'affreux, sales et méchants, se montre surtout bien plus finaud qu'il n'y parait en manipulant et en malaxant des codes et affects pré-existants. Que ce soit dans ses référents affichés qui convoquent tout et son contraire, de Staline à Mark E Smith, de fantasmes pour la chair fraiche à la célébration de la mort de cette "sorcière de Thatcher", ou dans ses propositions musicales, qui font se télescoper The Fall et les Black Lips, The Country Teasers et les Cramps, le post-punk et la country, l'americana des grands espaces et l'urbanité prolo pluvieuse à l'anglaise, son postulat tient autant de la catharsis désarticulée que d'une volonté de ramener sur le devant de la scène une certaine idée racinaire du rock'n'roll (pour faire très court, celui qui sent des dessous de bras et qui a une conscience politique). Ainsi, en brassant de manière aussi désordonnée tout un pan de la pop music tendance atrabilaire, la musique de cette bande d'affreux jojos nous invite à nous construire notre propre histoire dessus, et peut-être aussi, mine de rien, contribuer à la mythologie du groupe.
Que nous dit la musique de Fat White Family, et ce "Whitest Boy on the Beach" en particulier (on aura noté le clin d'œil à Throbbing Gristle sur la pochette) ? Tout et rien à la fois, et c'est tant mieux. Si on se fie uniquement au communiqué de presse, le groupe de Londres n'a pas d'autre ambition que de nous faire voyager "de la chaleur aveuglante d'une journée sur le littoral méditérranéen au boudoir assiégé de Ike et Tina Turner, de la salle d'attente du Dr Shipman jusqu'aux dernières heures du Troisième Reich dans le bunker berlinois." C'est de mauvais goût, potentiellement explosif et plein de mauvaises intentions. Dans tous les cas, vouez-les aux gémonies, défoulez-vous sur leur rock dégénéré ou applaudissez à bâtons rompus leur joyeuseté crasse : c'est fait pour ça.
Leur nouveau single "Whitest Boy on the Beach" est en écoute ci-dessous. Leur nouvel album Songs for our Mothers sortira le 22 janvier sur Fat Possum.
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