C'est un film dont en entend parler partout autour du monde depuis qu'il a été présenté à la Quinzaine des réalisateurs l'an passé et qui ébaubit et fait jaser les spectateurs à peu près partout où il est montré. Pourtant c'est un documentaire, au dispositif très minimaliste, quasiment exclusivement composé d'extraits de films et dont les intervenants n'apparaissent jamais à l'écran. Réalisé par Rodney Ascher, un réalisateur de clips passionné par le cinéma, les images et leurs étranges ondes de choc dans la société (son précédent court, The S from Hell, se concentrait sur les traumatismes causés par le logo de Screen Gems, sous-division de la Columbia pour ses programmes de télévision), Room 237 s'intéresse aux diverses théories et exégèses autour de Shining à travers les témoignages de 5 kubrickophiles plus ou moins sains d'esprit et c'est aussi inquiétant que passionnant.
Car depuis l'invention de la VHS, des myriades de passionnés autour du monde se repassent en boucle le grand film d'épouvante de Kubrick pour tenter d'en percer les secrets, et ce bien au-delà des limites raisonnables de la cinéphilie. Tous les films de l'Américain sont bien sûr des invitations à l'exégèse approfondie, où aucune ambiguité ne déborde de l'écran de manière arbitraire; mais Shining en particulier semble encourager les lunatics à venir y cultiver hypothèses extravagantes et marronniers des théories conspirationnistes. Dans tous ceux évoqués par les 5 allumés anonymes de Room 237, il ne manque guère que cette bonne vieille théorie du complot Illuminati qui fait fureur dans les cours des collèges autour du monde, mais ça doit être une histoire de génération.
Ils s'appellent donc Bill Blakemore, Juli Kearns, Jay Weidner, Geoffrey Cocks et John Fell Ryan, ils ont les yeux grands ouverts, ils ont tous l'air en premier lieu relativement cultivés et relativement sensés. Ils traquent les symboles et signes indiens dans les boîtes de conserve, les minotaures au milieu des labyrinthes, les références au génocide des Indiens d'Amérique ou à l'Allemagne nazie dans les multiples du chiffre 7 ou le chiffre 1942; ils se projettent simultanément le film à l'endroit et à l'envers ou établissent des cartes détaillées de l'Hotel Overlook pour dénicher liens secrets, symboliques, aberrations spatiales; ils guettent les pseudo erreurs de continuité, les manipulations subliminales et tout ce qui gît sur les côtés, symboles sur les moquettes, orientation des meubles, autoportraits cachés dans les nuages.
Et sans la moindre ironie ou distance surplombante, Ascher accompagne la voix et les mots de ses intervenants plan par plan, avec usages extensifs des ralentis et des arrêts sur image. C'est par là que le film devient passionnant, confondant volontairement les théories les plus délirantes (dont la plus majestueuse: Kubrick aurait réalisé la vidéo du (faux) premier pas (avéré) sur la Lune et Shining serait une mise en abyme de ses remords) et celles qui restent du côté de l'art, de la physique quantique et des horreurs de l'histoire.
Plus qu'un film sur Shining ou le génie de Stanley Kubrick, Room 237 est surtout un portrait en creux de cette Amérique à l'ère du soupçon, née juste après la guerre et qui n'a cessé de se perdre au fur et à mesure des assassinats de président et des exactions secrètes de la CIA. Plus près de nous, c'est un beau film emblème de notre époque, où les délires interprétatifs s'étalent avec plus ou moins de conviction en une de Dailymotion et où la connexionite aiguë est devenue une maladie universelle.
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