Histoire de la dance music, chapitre 9, alinéa 12, paragraphe 7.
Depuis que des zazous de Chicago ont débarqué dans les charts à la rentrée 1986, rien ne va plus dans la jeunesse anglaise. Ils s'appellent Farley "Jackmaster" Funk, Raze ou Steve "Silk Hurley", ils sont noirs, personne ne les connaît dans leur propre pays passé le Lac Michigan mais leur disco on a budget fait immédiatement un malheur. Il faut dire que le terreau est pile-poil mature pour l'ensemencement: les Anglaises et les Anglais ont cinq ans de synth pop, d'europop et d'italo dans les pattes et Trevor Fung et Ian St Paul viennent d'ouvrir leur premier club à Ibiza d'où revient justement Paul Oakenfold, la valise remplie de disques et d'ecstasy, une molécule découverte en 1912 mais dont on commence tout juste à découvrir les vertus particulières quand elle est dissoute dans des rythmes répétitifs.
Les Britanniques élisent ensuite rapidement leur drogue de choix: la branche instrumentale et expérimentale de la house de Chicago, initiée par l'étrange Acid Tracks de Phuture et les modulations psychotropes de sa bassline. Moins d'un an plus tard, toutes les boîtes d'Angleterre copient les soirées Schoom de Danny Rampling au Heaven de Charing Cross ou les Nude de Mike Pickering et Jon DaSilva à la Haçienda de Manchester. A l'été 1988, toutes les petites frappes d'Angleterre ont fait la transition: fini le hooliganisme, Long Live the Summer of Love.
En un clin d'oeil, les distributeurs Rhythm King et Jack Trax, qui gèrent le flux de nouveautés en provenance de la Windy City, se trouvent face à un épineux problème: la demande est telle que la source se trouve sans cesse tarie. Les producteurs du cru doivent se mettre à la page. C'est la naissance de l'acid house anglaise, maintes et maintes fois documentée et compilée en albums, cassettes et coffrets, et qui est le Premier Age de la dance culture la plus fertile et la plus complexe du monde pop.
Mais comme tous les grands épisodes de l'histoire, son existence s'étend sur plusieurs plans. Derrière MARRS, A Guy Called Gerald et Bomb the Bass, des nuées de gamins équipés de ces petites machines pas chères qui, six mois plus tôt, n'intéressaient à peu près personne, ont forgé disque par disque le Son Anglais primordial d'où allait couler tous les autres.
C'est ce creuset d'histoires là, bien moins connues, que tente de nous raconter le vétéran Richard Sen (actuel Padded Cell) avec This Ain't Chicago: plutôt que de ressortir les incunables, l'Anglais a fait sa sélection en fonction des cadences auxquelles les souvenirs faisaient battre son coeur. Privilégiant les productions des petites maisons bâties loin de la capitale (Ruby Red, G-Force, Rhythmbeat, Chill...) et les tracks les moins connues des stars de l'époque (Baby Ford, les Playtime Toons de Trevor Fung), il fait un tracklisting en forme d'autobiographie qui surprendra autant les nerds qui fréquentent le Marketplace de discogs au quotidien que ceux qui verraient en l'acid house un sous-genre abscons et balisé de la dance anglaise. Survolant une large période qui va des premières copies carbones de la Chicago House période pop et chantée (1986) jusqu'à l'orée du breakbeat hardcore (1991), les deux disques nous font surtout voyager dans ces eaux troubles où techno, house, soul, bleep, ambient house et early electronica mutaient et copulaient sans cesse les uns avec les autres, et à la vitesse de la lumière. Tant pis pour 2012, tant pis pour nos gamins: des compilations comme ça, on en veut bien tous les jours.
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