Il n'aura échappé à aucun amateur de nappes à carreaux et de nappes de Juno que les Siestes électroniques, "manifestation de niche et de coeur" ancrée dans la Cité des violettes, reprenait du service à la fin de la semaine et que la prog de l'année était particulièrement goutue et audacieuse. Côté nerdy techno, c'est du tout émo ou du renouveau très inspiré (Luke Abbott, Kassem Mosse, Elektro Guzzi, John Talabot, Morphosis) et côté nerdy pas-techno, la simple présence de Matthew Friedberger, grande moitié des grands Fiery Furnaces qui vit secrètement chez nous depuis une petite année, suffit à rendre le Festival dans son ensemble plus classe et désirable que 75% des autres festivals en activité. Aussi, il y a la déclinaison parisienne du festival, organisé sous la houlette et sous les auvents du musée du Quai Branly, et dont le plus bel événement sera sans doute la création sculptée à même le fond audiovisuel du musée de l'inclassable bostonien Keith Fullerton Whitman. Mais trève d'agenda, on veut surtout vous parler de la sortie en librairies du premier numéro d'Audimat, revue critique et théorique sur la pop music que le Festival finance et édite en lieu et place du sempiternel programme de festival.
Dirigée par Etienne Menu (traducteur, journaliste, animateur radio et nègre de bons mots sur la techno pour le quidam journaleux parisien) et Guillaume Heuguet (ex Fluokids, ex journaliste chez Trax et actuel broyeur de techno noire via In Paradisum), Audimat s'ouvre sur un article du journaliste allemand Diedrich Diederichsen intitulé "Va crever, critique de disque (mais prends ton temps)" et ambitionne joliment de parler de plein de trucs pop en même temps, dans la joie et dans le désordre.
Comme un Fresh Théorie entièrement voué à embarrasser le critique musicale ras-du-front (qui aurait certes besoin d'un bon coup de pied au cul et on a pas attendu ce tumblr flemmard pour s'en rendre compte), la revue ne s'embarrasse d'aucune image mais tente d'ébaucher "un discours critique exigeant, sans être abscons, sur la pop music, son histoire, son écoute, sa diffusion dans le monde" et sollicite autant les journalistes aux idées longues (dont Simon Reynolds, qui lâche un inédit sur l'idée du futur dans la dance music) que les écrivains (Patrick Mauriès, disciple de Barthes et Sontag auteur d'un Second Manifeste Camp apparemment pas oublié de tout le monde) et les universitaires.
On y parle joyeusement et doctement de UK Funky, du révisionnisme du remastering digital, de chansons rares, de l'âge d'or du rap français ou de la Hi-NRG "comme défi gay", on s'y libère "des contraintes d'actualité et des formats de la presse périodique", on s'y fait plaisir par le pluriel et on y fait plaisir au lecteur et c'est aussi humble que réjouissant. En croisant d'ores et déjà les doigts pour le numéro deux, on vous informe qu'Audimat devrait être dispo incessamment partout et nulle part, dans les bonnes librairies et sur les tables des galeries. Au pire, on vous prête notre exemplaire.
Sommaire:
Diedrich Diederichsen - Va crever, critique de disque (mais prends ton temps)
C’est une chose étrange et presque scandaleuse que Diedrich Diederichsen ait été aussi peu traduit en français. Né en 1957, il a écrit sur le punk et la new-wave pour la version allemande du magazine Sounds avant de diriger Spex, titre-phare de la presse alternative germanique, jusqu’au début des années 90. Imprégné de cultural studies, de post-structuralisme et de marxisme dissident, sa façon d’aborder la critique musicale est celle d’un moderniste radical, peu enclin à prendre la légèreté à la légère. Il enseigne parallèlement la théorie de l’art à Vienne. Audimat publie ici un article précédemment édité dans le quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung en 2010, qui s’interroge sur le choix de son ancien employeur, Spex, de cesser de publier des chroniques d’albums.
Simon Reynolds - Dance music : la fin du futur
Simon Reynolds a ce pouvoir de parler d’un morceau ou d’un artiste avec un enthousiasme tel qu’on a tout de suite envie d’aller l’écouter ou le réécouter. Son désir d’échafauder, article après article et livre après livre, une véritable histoire esthétique de la pop music au sens large, ne peut évidemment qu’être accueilli à bras ouverts pour qui n’a jamais goûté aux épuisants récits rock’n’roll, anecdotiques et psychologisants de la musique de ces cinquante dernières années. Après la sortie de son dernier livre Rétromania au début de cette année, il revient pour nous, via Skype, sur l’idée selon laquelle le futur et le futurisme en musique seraient paradoxalement devenus au fil des années des notions dépassées.
Tim Finney - Say what ? La UK Funky et l’ineffabilité du groove
Tim Finney est australien, il a 30 ans, a longtemps tenu un blog intitulé Skykicking et signe parfois des chroniques pour Pitchfork quand il réussit à trouver un créneau dans son emploi du temps d’avocat spécialiste des class actions – le même travail que celui de Glenn Close dans Damages, sauf que Tim est beaucoup plus sympathique. Malgré des goûts musicaux parfois peu compatibles avec les nôtres, Tim prête une telle attention à ce qu’il écoute et décrit qu’on finit souvent par réévaluer positivement ce qu’on pensait de ce titre de dancehall au départ assez terne, ou par prendre conscience de la fonction matricielle des remixes d’Ewan Pearson dans la scène electrohouse entre 2003 et 2005. Pour Audimat, il théorise la notion d’ineffabilité du groove à l’œuvre dans un genre passé plus qu’inaperçu en France : la UK funky.
Louis Picard - Chiens vivants, lions morts : esthétique de la chanson rare
La rareté en musique ne concerne plus guère que les disques eux-mêmes, puisque YouTube et feu MegaUpload ont en quelques années rendu disponible et gratuite la quasi totalité de la production musicale, ou en tout cas de la production musicale faisant l’objet d’une demande, évidemment. Face à ce renversement du régime de l’écoute, nous avons demandé à notre ami Louis Picard, de son état professeur de lettres modernes en classes préparatoires et généreux érudit du rock, de nous parler du rapport trouble que l’on entretenait autrefois aux chansons rares, inédites et oubliées.
Paul Purgas - Remastering digital et révisionnisme
L’industrie des rééditions d’albums peut-elle être taxée de révisionnisme sonore ? C’est ce que soutient l’artiste et musicien Paul Purgas, entre autres moitié du groupe Emptyset, qui retrace pour Audimat l’histoire du remastering digital et rend compte d’une pratique très prisée par les labels et les ingénieurs qui travaillent pour eux, consistant à adapter le son d’un enregistrement ancien aux goûts du public d’aujourd’hui en recourant à la compression, à la ré-égalisation, et autres maquillages sonores d’œuvres originales.
Etienne Menu - "À mille lieues des clichés du gangsta rap" : Notes sur le rap en France, le rap en français, et un âge d’or négligé
Entre 1995 et 1998, le rap français a vécu son apogée. Après la première vague du début de décennie (NTM, IAM, Solaar et Assassin) sont apparus plusieurs crews profondément influencés par la scène new-yorkaise et pratiquant couramment l’art du flow, privilégiant la forme sur le sens, le signifiant sur le signifié, le style sur le contenu – soit une certaine définition du vrai bon rap, celui qui refuse de coller à un message sociopolitique explicite et au culte très français du « beau texte ». La plus talentueuse et avant-gardiste de ces équipes s’appelait Time Bomb, et ses prophètes Lunatic, Hifi et surtout Ill. Etienne Menu, à l’époque jeune auditeur électrisé par les freestyles qu’il entendait sur les ondes de Générations 88.2, revient sur cet âge d’or trop souvent passé sous silence.
Didier Lestrade - Can You Handle It : la Hi-NRG comme défi gay
À une époque où les archivistes musicaux semblent avoir réhabilité à peu près toutes les scènes et micro-scènes des cinquante dernières années, Didier Lestrade, entre autres auteur élitiste mais décontracté des chroniques house et soul pour Libération dans les années 90, se demande pourquoi la Hi-NRG continue, elle, de croupir dans les oubliettes de l’histoire. Et en profite pour souligner comment ce style mal aimé se fit à l’époque la voix d’un désir gay enfin explicitement formulé.
Musique et camp : Entretien avec Patrick Mauriès
Le camp est une idée étudiée en 1964 par Susan Sontag dans ses Notes on Camp, pour évoquer l’attitude théâtralisée, à la fois froide et outrée, propre à certains homosexuels new-yorkais, le plus souvent juifs. Quinze ans plus tard paraît en France le Second Manifeste Camp de Patrick Mauriès, dans la collection Fiction & Cie du Seuil. C’est le premier livre d’un jeune homme de 27 ans venu à Paris quelques années auparavant pour suivre les cours de Roland Barthes, qui se trouve justement être à l’origine de sa publication.
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