Mais ce n'est pas le but après tout, nous sommes fiers de nos péripéties en terre de France et heureux d'enjamber le Rhin pour rendre nos fulminations sur le son de demain plus incarnées, encore.
Kunstraum Bethanien © CTM Camille Blake
Le CTM forme avec Transmediale, sa consoeur dédiée aux arts numériques, le binôme inséparable qui rythme la vie de la Babylone allemande depuis 1999, tous les ans quelques semaines après le solstice d'hiver. Sa singularité ? Avoir suivi l'évolution des lieux qui ont fait la renommée de la cité des péchés : ses clubs mythiques.
Initialement, le projet était d'ailleurs moins un festival qu'une exposition. Intié en 1999 par Jan Rohlf, Marc Weiser, Lillevan Pobjoy et Timm Ringewaldt, Club Transmediale se tient alors dans le bâtiment aujourd'hui démoli du club Maria Am Ostbahnhof, les phares dirigés vers l'art qui subit progressivement les stigmates de la révolution techno et sur la myriade de perspectives qu'engendre rapidement la digitalisation de la société. Un crédo sur l'art numérique et les passions pour le worldwide web encore naissant donc, qui des années plus tard fera le lit de la Vaporwave, du Cloud Rap et de tous ces sous-genres apparus six-pieds sous terre avant que le journaliste et chercheur britannique Adam Harper en devienne un fervent admirateur.
Le Club Maria Am Ostbahnhof, aujourd'hui rebaptisé Yaam.
Entre 1999 et aujourd'hui, le festival n'a cessé de se fixer dans des lieux toujours plus pittoresques de la Bundeshauptstadt : citons le septième étage de la Haus Des Lehrers, immeuble des années 60 d'Alexanderplatz qui servit de centre d'indoctrination des universitaires en ex-GDR, l'Umspannwerk Buchhändlerhof ou plus connu sous le nom de E-Werk, club mythique entre 1993 et 1997, le Württembergische Metallwarenfabrik ou le club WMF dans sa tanière d'Alexanderplatz et aujourd'hui le Berghain.
Autant de lieux qui ont donné à Berlin la réputation de "capitale la plus hédoniste du monde" et se sont chargés de l'éducation de jeunes esprits égarés. Ce sont ces mêmes cerveaux qui nous proposent aujourd'hui de penser le festival et la ville de Berlin à travers "New Geographies" ("nouvelles géographies), thématique de l'année qui imagine une topographie de la musique dépourvue de barrières Nord-Sud ou frontières Est-Ouest.
Das Haus Des Lehrers und die Kongresshalle im Jahr 1967.
L'idée derrière cette nouvelle configuration des espaces de création à l'échelle mondiale est passionnante : montrer comment la mondialisation et la démocratisation des moyens technologiques ont profité à la musique de tous les hémisphères, démultipliant les mutations du son vers des genres toujours plus hybrides. Une idée que le festival a décliné à la fois dans sa programmation musicale mais aussi dans l'exposition d'art sonore et vidéo qu'elle présente jusqu'au 20 mars au Kunstquartier Bethanien de Kreuzberg avec Norient, l'excellente plateforme internationale de recherche domiciliée à Lausanne (le réseau comprend notamment un magazine et un festival de musiques de films) qui explore les évolutions "des nouvelles musiques, sons et bruits" dans le monde. Une exposition dans laquelle on retrouve la fanfare d'armes à feu créée par l'artiste Mexicain Pedro Reyes ou les vidéos flashy-grotesques de l'artiste chinois passé par le palais de Tokyo l'année dernière, Tianzhuo Chen.
Pedro Reyes, Disarm.
Conçu plutôt comme un salon de recherche et de réflexion sur le son que comme une beuverie massive d'outre-Manche pour jeunes loups assoiffés de chair fraîche, le CTM tient la dragée haute à ses visiteurs en remettant chaque année en question les limites entre réel et virtuel à travers différents prismes de la musique. La question cependant de savoir si nous sommes revenus tout cabossés de ces quatre jours (et quatre nuits) douteuses ne se pose pas. La véritable question est de savoir par quoi nos corps rendus flasques par la sédentarité qu'impose le métier ont été malmenés.
Quand on se promène sur des sites comme Soundcloud, Mixcloud ou Bandcamp aujourd'hui et qu'on fait l'effort d'y passer plusieurs heures en cherchant qui suit qui, qui like qui, qui commente qui, on commence à frotter la mousse apparente qui, comme une couche superficielle laisse poindre la ramure humide où se cachent les cloportes du web. On se frotte alors à ces personnages pervers qui portent avec eux les séquelles intimes d'histoires personnelles qui parlent à quelques-uns, ou des musiciens qui font du beau avec du laid et parfois même du laid avec du beau. C'est pour ça que nous allons au CTM de Berlin, pour voir toute la crasse qui prolifère comme une bactérie incurable sur le deuxième monde : Internet.
Alors on ne vous fera pas un compte-rendu où l'on vous dira qu'on a vu nos favoris ou telle coqueluche de la microsphère gravitanionelle Berlin-Londres en vous narrant une histoire sans fin à la manière des mémoires d'un écrivant pour vieilles dames penchées sur l'eau-de-vie. On se contentera de vous parler des concerts qu'on retient de l'édition de cette année en vous disant pourquoi ils nous ont frappé au coeur.
Group A
En sortant de leur concert au Berghain, je rencontre Tomi Tokyo (synthétiseur, voix) et Sayaka Botanic (violon) sur le terre-plein alors qu'elles traînent leur chariot d'instruments et leurs chapeaux chinois. Après une brève conversation, elles m'annoncent que cela fait deux semaines qu'elles habitent à Berlin et en sont plus que ravies. Sans aucun doute, on a pu attester de leur enthousiasme pendant leur performance : sincère, viscérale et d'un romantisme qui n'a rien à envier à Steve Strange de Visage.
Group A, Berghain. © CTM Camille Blake
Nkisi
Melika Ngombe Kolongo, née en Belgique mais résidente londonienne, est DJ, productrice et cofondatrice du collectif NON. Le set qu'elle a proposé au CTM était un mélange de morceaux gabber, doomcore, de techno industrielle et de dance music d'Afrique centrale et de l'ouest. Dans ce fouillis, on perçoit une volonté de nous faire remonter aux origines de la danse avec un spleen qui nous rappelle les premiers instants de la techno de Détroit. Si vous passez par Londres, Nkisi anime régulièrement les soirées End Less qui nous donnent encore une raison de vouloir aller faire la fête de l'autre côté de la Manche.
Nkisi, Panorama Bar. © CTM Camille Blake
Keiji Haino
Comme Ayumi Hamasaki, le maître de la noise et de l'expérimentation japonais reste un de ces ovnis qu'on ne se lasse pas de voir sur scène tant chaque performance semble sceller un acte légendaire dans le panthéon des récitals atrophiés.
Keiji Haino, Hebbel am Ufer. © CTM Udo Siegfriedt
Jlin
Il FAUT voir Jlin jouer sur scène, ne serait-ce que pour comprendre littéralement ce que veut dire l'expression "se déboîter le bassin dans un axe trilatéral". Le footwork est certainement la dernière culture urbaine a avoir émergé de Chicago et de ses alentours que vous ne connaissez peut-être toujours pas malgré vos visites quotidiennes sur The Drone. Outsider de la scène, Jlin a collaboré avec Holly Herndon et RP Boo pour le défilé FW14 de la marque Rick Owens. Elle est signée sur Planet Mu, et s'est invitée en première place de nombreux tops de fin d'année de 2015.
Jlin, Panorama Bar. © CTM Camille Blake
Hatsune Miku
Hatsune Miku veut dire "premier son du futur" en Japonais. Développé en 2007 comme un produit de synthèse vocale par la société Future Corp Media, Hatsune Miku est devenue l'hologramme le plus célèbre de la planète, après ceux de 2pac et Michael Jackson. 100 000 chansons ont été sorties dans le monde et on ne compte plus le nombre de bâtonnets luminescents qui se sont agités devant ses yeux de biche en concert. Au CTM, on a pu assister à la première de Still Be Here, performance conceptuelle créée par plusieurs artistes (Mari Matsutoya pour l'idée, Laurel Halo pour la création sonore et Darren Johnston pour la chorégraphie pour les plus connus) qui déconstruit l'image que le spectateur se fait du vocaloïd, en montrant l'obsession qui s'est développée autour du personnage, notamment à travers le cosplayer et prof de math Rudolf Arnold et quelques berceuses. En somme, il valait mieux prendre un ticket pour le Japon si vous vous attendiez à voir un vrai concert de Miku. Mais si vous êtes gaga de la Miku ou de Laurel Halo, la performance passera au Barbican de Londres et au Donaufestival cette année.
Still Be Here, Haus der Kulturen der Welt. © CTM Camille Blake
Kablam
Avec sa troupe de joyeux lurons M.E.S.H et Lotic, Kasja Blom qui fait partie du roster de Shape cette année, est résidente des soirées Janus qui se tiennent régulièrement au Berghain. Encore petit têtard dans la marée de producteurs "post-club", Kablam n'est cependant pas une néophyte de la brutalité poétique qu'elle et d'autres fétichistes du chaos sèment de derrière leurs CDJs. Pour ceux qui passeraient bientôt par Berlin, la prochaine soirée Janus a lieu le 4 mars, au programme : Total Freedom, Lorenzo Senni, Eylsia Crampton, Chino Amobi...Pour ceux à qui ça ne dit absolument rien, cliquez sur les liens pour vous faire une idée du répertoire plébiscité par ces loustics.
Cette liste n'est pas exhaustive. Mais on vous promet que suivre nos conseils vous réconciliera avec les bratwursts, pecantasche et autres cochonneries substantielles qui servent aussi bien de carburant pour les heures que vous allez passer sur votre navigateur à ouvrir indéfiniment des onglets de pages d'artistes et pour tout festivalier négligent avec la diététique dans le contexte d'un festival comme le CTM. Et à l'année prochaine.
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