Jusqu'ici, on est restés scrupuleusement silencieux sur Polyphonic Beings, quinzième album solo de Cristian Vogel sous son nom de baptême sorti la semaine dernière et événement discographique incontournable pour tout techno snob contemporain qui se respecte (les autres ne se respectent pas, c'est comme ça). La raison n'en est absolument pas la triste indifférence qu'aurait provoqué chez nous l'écoute du disque, mais parce qu'on réservait la primeur de notre enthousiasme pour la vidéo de notre interview tournée avec le bonhomme lors de son dernier passage parisien (dont on n'a toujours pas eu le temps de faire quelque chose de montrable pour diverses raisons de cuisine interne dont on vous épargnera les détails).
Bref, le temps passant toujours trop vite, on vous lâche le présent billet en préambule et parce qu'il nous fallait absolument parler avant que ce soit trop tard pour le faire de ce disque merveilleux, conçu et synthétisé de main de maître par l'un des plus précieux auteurs de la techno européenne.
Du dernier passage parisien de l'Anglais, parlons-en tout de même: c'était tout début septembre à l'occasion d'une soirée Get the Curse au Rex, que Vogel concluait au petit matin avec un set très étrange, exclusivement composé de ses propres morceaux, qui ressemblait fort à un divorce consommé avec le dancefloor et avec la nation techno à laquelle il a rendu tant et tant de services depuis 20 ans.
Puis quelques jours plus tard, par une étrange coïncidence, le vétéran délivrait via son blog une lettre d'adieu à la "partyscene" qui ne nous a pas beaucoup surpris mais qui nous a plongé dans un état de profonde mélancolie (assez similaire, on l'avoue publiquement, à celui dans lequel nous a plongé la deuxième moitié de l'Eden de Mia Hansen-Løve):
C'est donc acté sans retour possible: Cristian Vogel a fait ses adieux à sa carrière de DJ et la techno pour se consacrer intégralement à sa carrière de compositeur de musique électronique "sérieuse", du genre de celle qu'on peut entendre sur ses musiques pour les spectacles du chorégraphe Gilles Jobin ou son Eselsbrücke sorti l'an passé sur Sub Rosa.
Pour autant, Polyphonic Beings est très loin d'être dénué de techno et deconnecté de ses monstres cyber marteau-piqueur pour Tresor (Absolute Time, Dungeon Master, The Never Engine). A mi-chemin de ces monuments techno-moderniste dont on se demande toujours ce que la nouvelle génération berghainisée attend pour les réhabiliter et des tentations poétiques de ses albums sur Mille Plateaux ou du récent The Inertials, Polyphonic Beings est ni plus ni moins qu'un grand disque de musique électronique rythmée en totale liberté, taillée dans des matières synthétiques extrêmement belles et extrêmement étranges, dignes de figurer dans les séquences les plus étranges d'un vieux dessin-animé de science-fiction psychédélique et ponctuellement pulsées par des rituels rythmiques appartenant clairement à quelques sous-écoles de la musique électronique qui se danse. On ne sait pas trop à quel moment Cristian Vogel a décidé sa sécession terminale avec la dance mais Polyphonic Beings nous fait nous dire qu'elle ne se fera pas sans état d'âme pour le producteur anglais.
La meilleure preuve en est la campagne de crowdfunding qu'il a récemment lancée via Startnext. A l'instar de son cousin Atom™ et à l'inverse de ce qu'il annonce dans la lettre ci-dessous ("You can keep my records"), Vogel prépare en effet une vaste entreprise de remastering de son oeuvre depuis 1992, dont ses meilleurs maxis et une grosse pile de masters DAT renfermant des versions inédites et des inédits tout court de son vaste corpus. C'est l'occasion inespérée, pour tous ceux qui auraient pris goût à son electronica excessivement belle et singulière via Polyphonic Beings ou au détour d'une zone particulièrement prolifique sur Youtube, de vérifier le bien fondé de tout ce qu'on vient de vous raconter et, surtout, de creuser plus loin dans sa magnifique oeuvre en toute légalité.
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