On ne va pas se mentir : il était devenu très difficile ces dernières années de s'enflammer pour des groupes d’indie rock. À un moment, on a même carrément failli jeter l’éponge au vu de la devanture : attitudes démissionnaires, désengagement général et odeur de tabac froid semblaient le lot de groupes aussi dociles que dépourvus d'histoire. Une des raisons pour lesquelles le cas Ought nous a interpellés, c’est qu’il a justement représenté une sorte de respiration à son arrivée sur le circuit en 2012.
Certes, la musique du groupe n’échappait pas à une certaine forme d’obséquiosité envers ses aînés (pour le cas du chanteur Tim Darcy, une émulation particulière avec les héros post-punk David Byrne et Mark E Smith) qui caractérise bon nombre de productions indie aujourd’hui. Mais une appétence littéraire (des références à David Foster Wallace ou Don DeLillo), une fébrilité, un sens du discours et un certain engagement politique (on y revient) permettaient de placer Ought sur la carte des groupes un peu plus concernés que la moyenne, et un peu plus passionnants.
C’est d’ailleurs par ce bout-là de la lorgnette qu’on a tenté d’approcher le chanteur et guitariste Tim Darcy, de passage à la Maroquinerie en fin d’année dernière avec son groupe. Frontman longiligne et inhibé, le jeune homme s’est alors surtout illustré par sa prudence, une certaine raideur dans la gestuelle et une manière assez précautionneuse de présenter son discours. Si pour lui, la formation de son groupe n’était pas nécessairement le fait d’une réaction directe face à une certaine scène musicale, ou le contrecoup d’un sentiment général d’apathie comme il le dit lui-même, la genèse de Ought était tout de même à prendre en considération si l’on voulait tenter d’appréhender la bête.
Le groupe, formé à Montréal en 2012 par quatre expatriés (aucun n’est canadien) en parallèle des évènements du printemps érable, au cours desquels les étudiants québécois manifestaient contre le projet de loi de hausse des frais de scolarité, s'est rapidement fait signer sur le label Constellation, qui s'est depuis longtemps caractérisé par son engagement politique anticapitaliste, son action sociale et son souci d’éthique.
Pourtant, lorsqu’on l'interroge sur ces questions, c’est avant tout avec un souci de prudence et de diplomatie que Tim Darcy nous répond. Ne voulant pas se faire enfermer dans un rôle de porte-étendard (qu’il ne représente de toute façon pas), le chanteur entend surtout nous parler du rôle prépondérant de catalyseur, plus que de réel convecteur, qu’auront représenté les manifestations estudiantines pour son groupe. Plus que le geste politique en lui-même, c’est surtout l’impulsion, la ferveur et la réalisation d’un esprit communautaire inédit qui auront nourri leur développement.
Originaire d’un coin rural des Etats Unis où l’action politique se passait avant tout devant la télé, Tim Darcy avait, avec les manifestations estudiantines, pu assister pour la première fois à un phénomène où les choses devenaient beaucoup plus tangibles, réelles et concrètes. D’où, peut-être, une certaine réticence de sa part à vouloir pleinement embrasser l’idée de politisation de la musique, de s’opposer à une masse informe difficilement identifiable, ou encore de se placer en modèle de vertu, mais plutôt favoriser l’idée que les choses se terminent, comme il le dit lui-même, par des points d’interrogation plutôt que d’affirmation.
À ce titre, il n’est pas interdit de considérer Ought comme l’une des incarnations d’une génération tellement désillusionnée dans l’idée même d’appareil politique (voire d’engagement en général) qu’elle préfère s’appuyer sur l’action locale, individuelle, plutôt que dans l’idéalisme d’un collectif à grande échelle. Ou alors, de voir en ces jeunes gens le prototype du groupe à qui l'on a parfois plus envie de faire dire des choses que l'on aimerait entendre, que d'écouter ce qu'ils ont eux-mêmes à nous dire.
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