(English speaking readers, please find a version of the video with English subtitles below).
Monts et merveilles de la noise japonaise. Comme un paquet de mélomanes affamés, on est arrivés au pays du soleil levant au coeur des 90s par la folle scène alternative du Kansai plutôt que par les mangas et la j-pop dégueulasse d’Ayumi Hamasaki. Parce que, de Hijokaidan à Afrirampo, ça a toujours été la plus idiosyncratique, la plus extrême, la plus colorée de toutes les scènes alternatives du monde, ça nous a changés (en même temps qu’un paquet d’autres) à jamais. Mais si on a d’abord été attirés par le volume, les pochettes bizarres et les jolis minois, on est restés pour la beauté de plus en plus cruciale de la musique.
Les milles et une transfigurations de la bande Boredoms, en premier, suffiraient à nous nourrir pour une vie entière. Quantitativement, d’abord, puisqu’en entre la discographie exhaustive du groupe et celle de la galaxie des projets parallèles de ses membres (on a tenté une ébauche de liste, elle fait vraiment mal aux yeux), on remplit sans souci deux grandes bibliothèques Billy (avec le surmeuble); qualitativement, ensuite, parce que le Continent qu’ils forment ensemble est parmi les plus vastes, les plus accidentés et les plus beaux de la musique moderne.
Deuxième membre la plus éminente du collectif, Yoshimi “P-We” Yokata est un pays gigantesque à elle toute seule. Inséparable du leader Yamatsuka Eye depuis le jour où elle a rejoint UFO or DIE, elle a marqué au fer rouge un nombre incalculables d’items discographiques de son jeu de batterie cataclysmique, et traumatisé au moins mille fois plus de gens bien de sa voix d’outretemps (dont Matt Groening, papa des Simpsons ou Wayne Coyne des Flaming Lips, qui a tiré un album entier de sa compréhensible fixette). On l’a aimé en lutin dada dans les Boredoms époque Lollapalooza, en no-waveuse très sérieuse dans Free Kitten, en singe hurleur dans ses disques solo sous le nom de Yoshimio ou en Esprit de la montagne avec Psychobaba, Olaibi ou avec Yuka de Cibo Matto. Et on la suit quoi qu’elle tente depuis plus de 20 ans.
Véritable pays dans le pays, OOIOO est loin d’être un side-project parmi tant d’autres dans la carrière de cette impératrice noise. Formé en 1998 avec trois amies sans aucune expérience de la musique, le groupe a grossi au fur et à mesure des années (et des changements de line-up) jusqu’à devenir un véritable conglomérat psyché prog au féminin, presque autant connu à l’étranger que les Boredoms.
Musicalement, surtout, le groupe a rapidement quitté le giron post Boredoms des premiers albums: si l’ombre psychotrope de Eye plane toujours au dessus de sa vieille camarade, l’inceste s’opère désormais sous forme de remixes en famille: Yoshimi a grandi, et OOIOO a pris le large pour devenir une tribu à part entière, avec sa propre langue et ses propres traditions.
Tranchante comme l’onomatopée qui lui sert de nom, la musique du groupe est à la fois psychédélique et hyper précise, volontairement apatride et typiquement japonaise. La tête pleine de légendes et de bruits d’oiseaux, Yoshimi, Kayan, Aya et Ai récupèrent sans passer par la case citation un arc-en-ciel de particularismes ethniques sans jamais tremper, bien sûr, dans les marécages ignominieux de la world music. Les entrelacement de guitares typiques des sous-genres de la musique moderne africaine dont un certain indie rock chic se repaît depuis quelques temps (highlife du Ghana, rhumba congolaise, pop éthiopienne) conjuguent éruptions synthétiques ou polyphonies hirsutes des ethnies disséminées partout autour de l’archipel du Japon, et c’est le coeur du post-punk, du krautrock ou du prog façon Rock in Opposition qui se remet à battre sur des cadences inédites en même temps que celui des cultures minoritaires japonaises (Ainous d’Hokkaido ou peuplades de l’archipel Ryûkyû), ostracisées depuis une éternité. En live, c’est une effusion un brin technique, mais d’un originalité folle, qui ressemble presque à une version 2.0 enfin accouchée de l’increvable démon psyché rock; trois mois après le passage du quatuor à la Villette Sonique, on lévite encore. Suivez la Gourou.
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